3. Liberté républicaine et droits individuels
La plupart des philosophes qui adoptent cette conception de la liberté républicaine marginalisent très nettement la notion de droits individuels. Leur argument principal est que cette notion de droits individuels appartient à l’univers intellectuel du libéralisme. Or, parce que ces philosophes républicains voient dans le républicanisme un concurrent du libéralisme, ils cherchent, autant qu’ils le peuvent, à se passer du concept de droits. (raison essentiellement stratégique et idéologique)
Mais on peut en réalité contester cette idée selon laquelle les droits seraient un concept étranger à la pensée républicaine. On peut la contester à la fois d’un point de vue historique et d’un strict point de vue conceptuel.
- : on peut en fait montrer qu’un grand nombre d’auteurs républicains des XVIIe et XVIIIe s., notamment, s’appuient de façon essentielle et cohérente sur une certaine conception des droits individuels.
On pourra revenir sur différents exemples dans la discussion, mais je voudrais surtout insister sur l’argument conceptuel.
Il y a en effet un élément conceptuel commun à la liberté comme non-domination et à la notion de droits. Quel est cet élément?
On l’a vu, la liberté comme non-domination suppose de ne pas être exposé à un pouvoir arbitraire d’un tiers, ce qui implique d’être protégé contre d’éventuelles interférences arbitraires, et donc d’avoir la garantie que celui ou celle qui commettrait une telle interférence serait sanctionné par la loi.
Or, qu’est-ce qu’un droit, précisément, si ce n’est une contrainte qui s’exerce sur l’action d’autrui, et qui me protège d’éventuelles interférences ?
Allons plus loin : on vient de voir que supposer que les individus ont des droits, c’est supposer qu’ils sont à l’abri des interférences ou des immixtions arbitraires d’autrui. Mais est-ce que la logique de cet argument ne nous oblige pas à soutenir que les droits doivent être protégés y compris (et même surtout) contre les interférences arbitraires des groupes (et non seulement des individus) : des associations (religieuses, politiques ou autres ; = le droit de sortie d’une communauté religieuse ), des entreprises (le droit de ne pas être licencié arbitrairement).
Mais toujours selon la même logique, est-ce que les droits ne devraient pas être protégés contre la volonté collective de l’assemblée souveraine elle-même ? N’est-ce pas exactement ce que vise la disposition constitutionnelle dont on est parti ?
Or, si cette disposition constitutionnelle protège effectivement les droits individus, elle suppose aussi en même temps de mettre en cause l’idée d’une souveraineté législative, donc l’idée que le peuple, par la voix de ses représentants, se donne à lui-même ses propres lois.
Ainsi, alors que j’ai tenté de montrer les systèmes de valeurs auxquels les droits et la citoyenneté républicaine n’étaient pas nécessairement incompatibles, on retombe ici sur une tension entre ces deux notions. Mais la tension dont il s’agit relève moins des concepts eux-mêmes que la façon de les mettre en œuvre par les institutions.
Pour conclure, je voudrais insister sur ce problème et donc insister sur le fait que le point d’interrogation dans le titre de mon intervention doit être maintenu.