2 Dieu existe-t-il ?
A cette question aucune science ne peut répondre, car il n’y a pas de savoir, comme un résultat communicable et contrôlable, pas de démonstration ou d’expérience.La preuve (ou la non-preuve) n’existe pas. Même si des raisons ou des arguments militent pour l’existence ou la non-existence..Personne ne sait si Dieu existe ou non : le croyant qui affirme l’existence de Dieu, l’athée qui la nie, l’agnostique qui ne l’affirme ni ne la nie. Pour sa part Comte-Sponville se définit comme un athée non dogmatique : « je ne sais pas si Dieu existe, mais je sais que je crois qu’il n’existe pas. »Faiblesse des preuves :L’histoire de la philosophie fournit bien des tentatives de preuves qui, à l’examen, se sont révélées bien fragiles. Sans entrer dans le détail, un peu scolaire, relatons les principales :- la preuve ontologique : Dieu existe, par définition ! Le concept de Dieu inclut l’être ; Dieu est le seul être qui existe par essence. De grands esprits ont soutenu cette preuve : Saint Anselme, Descartes, Spinoza, Leibniz ou Hegel mais elle a été combattue, aussi, par Saint Thomas, Pascal, Gassendi et Hume. Kant la ruinera pour la raison qu’une définition (domaine du possible) ne fait pas une existence (domaine du réel) ; le concept de Dieu reste le même que Dieu existe ou pas.
- la preuve cosmologique : rien n’existe ou n’est vrai sans cause ou sans raison (principe dit de raison suffisante cf. Leibniz). Le monde est incapable de rendre raison de lui-même : il n’est pas nécessaire mais contingent (il aurait pu ne pas exister). La raison suffisante du monde ce serait un « être » qui possède la raison de son existence avec soi. Il faudrait un être absolument nécessaire pour expliquer l’ensemble des choses contingentes.
Argument séduisant : mais la nécessité logique d’un être nécessaire prouve-t-ellel son existence ?[C’est une constante de l’esprit humain de passer du possible au nécessaire et d’ajouter de l’existence à l’imaginaire] Sûrement pas. Et penser Dieu comme l’être nécessaire ne résout pas le problème ; car affirmer que Dieu est à l’origine de toutes choses parce qu’il est lui-même cause de soi est ce qui le rend inexplicable. Car pourquoi Dieu plutôt que rien ? C’est reculer d’un cran la question, ce n’est pas la résoudre. L’existence de Dieu ne résout pas la problématique de l’existence de l’être : elle permet de se débarrasser de la question.
- la preuve physico-théologique : de l’existence concrète du monde, sa complexité, son ordre, sa beauté, on conclut à une intelligence créatrice et ordonnatrice. Vieil argument, popularisé par Voltaire par l’analogie de l’horloger « l’univers m’embarrasse , et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger », dont le dernier avatar est la théorie du « dessein intelligent ».
L’existence des catastrophes naturelles (tremblements de terre), des dérèglements biologiques [épidémies (peste, sida), maladies (cancers)] relève-t-elle d’un « dessein intelligent » et bienveillant ? Le vie, elle-même, peut être considérée comme le résultat de processus naturels ; l’homme lui-même comme l’aboutissement (provisoire) de l’évolution des espèces et de la sélection naturelle, qui ne nécessite point un plan providentiel d’un mystérieux créateur. Et le jour où le soleil n’existera plus, la question ne se posera plus !
Faiblesse des expériences Si Dieu existait, cela devrait se sentir. Dieu se cache : il est invisible. Réputé tout puissant il refuse de se montrer. L’hypothèse est que Dieu se cache pour respecter notre liberté et permettre la foi (cf. Kant). Mais c’est supposer que l’ignorance est un facteur de liberté, ce qui est, pour le moins, paradoxal. [curieusement Comte-Sponville n’évoque pas la manière dont le christianisme a « résolu » le problème : Dieu se manifeste par son fils « Jésus » - lequel s’est senti tout de même abandonné sur la croix- et par ses miracles]. Les mystiques se sentent les témoins d’un contact direct avec Dieu ; beaucoup disent que la prière est l’occasion d’une rencontre avec Dieu. Expériences sincères, sans aucun doute : mais une expérience que tous ne partagent pas et qui n’est ni contrôlable ni réitérable reste bien fragile, comme preuve.Faiblesse de l’explication par DieuCroire en Dieu, d’un point de vue théorique, cela revient à vouloir expliquer quelque chose qu’on ne comprend pas -le monde, la vie, la conscience- par quelque chose que l’on comprend encore moins : Dieu. Au mystère du monde, il n’est pas utile d’ajouter le mystère de Dieu. Croyant et athée peuvent se rejoindre sur une chose : c’est que si l’Un (= le principe de toutes choses) existe, on ne peut rien en dire. « Il n’y a même pas de nom pour le désigner ; on ne peut ni le désigner, ni le sentir, ni le juger » (Parménide/Platon) .
Excès du malAux raisons de ne pas croire en Dieu (arguments négatifs) il faut ajouter les arguments positifs de croire que Dieu n’existe pas. C’est l’existence du mal qui « pose problème » et qui tourmente les penseurs et théologiens.Epicure dans ce domaine va à l’essentiel : « Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut ; ou il le peut et ne le veut ; ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s’il le peut et ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient seul à Dieu, d’où vient donc le mal, ou pourquoi ne le supprime-t-il pas ?.A cette difficulté deux réponses principales sont apportées : le première est que si le monde ne comportait aucun mal il serait parfait ; mais s’il était parfait, il serait Dieu ; la deuxième est que le mal est la conséquence de la liberté humaine (les hommes peuvent librement choisir le bien, mais ils choisissent le mal) ; Dieu est exonéré du mal, dans les deux cas.Mais qui oserait parler de liberté humaine (et de péché originel) devant les maladies, les catastrophes naturelles ? Qui ose parler de la bonté de Dieu devant la mort d’un enfant ?Et bien avant l’apparition de l’homme des milliards d’animaux ont dévoré des milliards d’autres. L’invention des carnivores était-elle nécessaire au plan divin ? La vie est d’une violence et d’une injustice effrayantes. Et l’homme est un … carnivore !Reste à penser non plus la toute puissance de Dieu mais son impuissance ou sa faiblesse et à supposer un Dieu désarmé qui n’a pu créer le monde et l’homme qu’en renonçant à la toute-puissance (cf. Le Concept de Dieu après Auschwitz de Hans Jonas). Mais un Dieu faible est-il encore Dieu ?Reste à dire que le mal est un mystère ! Nous voilà bien avancés !Mieux vaut reconnaître le mal pour ce qu’il est – dans sa banalité et sa démesure, dans son évidence atroce et inacceptable-, le voir en face, et le combattre, tant qu’on peut. Ce n’est pas de foi que l’on a besoin mais d’action.Au total Comte-Sponville est résolument athée, on l’aura bien compris. Un athéisme argumenté et non militant, éloigné des fanatismes religieux et laïcs avec la valeur centrale de la liberté de l’esprit.