TITRE : Introduction à une spiritualité sans Dieu AUTEUR : Comte-Sponville
DATE DE PARUTION : 2006 COMMENTAIRE : Accessible, clair, pédagogique
Lire également l'appréciation de Franck Lelièvre sur le livre de Comte-Sponville Une philosophie athée ?
Comte-Sponville se propose de répondre à ces trois questions : Peut-on se passer de religion ? Dieu existe-t-il ? Quelle spiritualité pour les athées ?
Voici les grandes lignes de sa réponse.
1 Peut-on se passer de religion ?
Que Dieu existe ou pas, il est certain que les religions existent et qu’elles font partie de l’histoire, de la société, du monde.
Mais qu’est-ce qu’une religion ? Comte-Sponville propose la définition suivante (à la suite de Durkheim) : « j’appelle religion tout ensemble organisé de croyances et de rites portant sur des choses sacrées, surnaturelles et transcendantes (c’est le sens large du mot), et spécialement sur un ou plusieurs dieux (c’est le sens restreint), croyances et rites qui unissent en une même communauté morale ou spirituelle ceux qui s’y reconnaissent ou les pratiquent. »
Cette définition s’applique assez bien aux trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) mais moins bien aux formes originelles du bouddhisme, du taoïsme ou du confucianisme, qui, à l’origine, sont seulement des sagesses.
Le détour par l’étymologie permettra d’approfondir cette définition. Deux « lectures étymologiques » du mot religion se font concurrence :
- religio viendrait de « relegare » , qui signifiait « relier » et conduit à cette « évidence » que la religion, c’est ce qui relie. En ce sens, dans les différents monothéismes, les gens sont liés entre eux parce qu’ils ont tous le sentiment d’être reliés à Dieu. Cela rend possible la cohésion sociale par la communion ;
- religio viendrait plutôt de « relegere » qui pouvait signifier « recueillir » ou « relire ». La religion n’est pas ce qui relie mais ce qu’on recueille (ou ce qu’on relit avec recueillement) : des mythes, des textes fondateurs, un enseignement (origine en hébreu du mot Torah), un ou plusieurs livres (Biblia en grec), un savoir (c’est le sens, en sanskrit, du mot Véda), une lecture ou une récitation (Coran en arabe), une Loi (Dharma en sanskrit), des principes, des règles, des commandements (le Décalogue, dans l’Ancien Testament).
- religio viendrait de « relegare » , qui signifiait « relier » et conduit à cette « évidence » que la religion, c’est ce qui relie. En ce sens, dans les différents monothéismes, les gens sont liés entre eux parce qu’ils ont tous le sentiment d’être reliés à Dieu. Cela rend possible la cohésion sociale par la communion ;
- religio viendrait plutôt de « relegere » qui pouvait signifier « recueillir » ou « relire ». La religion n’est pas ce qui relie mais ce qu’on recueille (ou ce qu’on relit avec recueillement) : des mythes, des textes fondateurs, un enseignement (origine en hébreu du mot Torah), un ou plusieurs livres (Biblia en grec), un savoir (c’est le sens, en sanskrit, du mot Véda), une lecture ou une récitation (Coran en arabe), une Loi (Dharma en sanskrit), des principes, des règles, des commandements (le Décalogue, dans l’Ancien Testament).
Les deux sens ne s’opposent pas et, au contraire, peuvent se rejoindre. Relire, recueillir : les mêmes textes créent du lien : c’est en recueillant-relisant les mêmes paroles, mythes ou textes qu’on finit par communier dans les mêmes croyances et les mêmes idéaux.
Que nous enseignent ces textes ? Que la sincérité vaut mieux que le mensonge, le courage mieux que la lâcheté, la générosité mieux que l’égoïsme, la douceur et la compassion mieux que la violence ou la cruauté, la justice mieux que l’injustice, l’amour mieux que la haine. Dieu n’a pas besoin d’exister pour que ces valeurs demeurent, lesquelles sont le fruit de l’expérience millénaire de l’humanité, éloignées de la barbarie.
Comte-Sponville se définit comme un athée fidèle, c’est-à-dire un homme qui ne croit pas en Dieu mais fidèle à ces valeurs millénaires et notamment aux valeurs judéo-chrétiennes. Et, citant Spinoza, de rappeler que toute la loi est dans « la justice et la charité » et qu’il n’est d’autre sagesse que « d’aimer et de bien faire et se tenir en joie »
Que nous enseignent ces textes ? Que la sincérité vaut mieux que le mensonge, le courage mieux que la lâcheté, la générosité mieux que l’égoïsme, la douceur et la compassion mieux que la violence ou la cruauté, la justice mieux que l’injustice, l’amour mieux que la haine. Dieu n’a pas besoin d’exister pour que ces valeurs demeurent, lesquelles sont le fruit de l’expérience millénaire de l’humanité, éloignées de la barbarie.
Comte-Sponville se définit comme un athée fidèle, c’est-à-dire un homme qui ne croit pas en Dieu mais fidèle à ces valeurs millénaires et notamment aux valeurs judéo-chrétiennes. Et, citant Spinoza, de rappeler que toute la loi est dans « la justice et la charité » et qu’il n’est d’autre sagesse que « d’aimer et de bien faire et se tenir en joie »
Mais dissocier la religion de la sagesse ne répond pas à la spécificité de la religion qui ne vise pas qu’à tenter de résoudre le problème du « vivre ensemble », mais à résoudre l’énigme de l’existence.
Quelles sont les réponses aux trois questions fondamentales de Kant : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Il est possible de répondre aux deux premières sans postuler l’existence de Dieu. La connaissance et la recherche de la vérité sont possibles sans Dieu (et les recherches scientifiques n’ont pu prendre leur essor qu’en s’affranchissant de la question de Dieu) ; la morale peut se passer de Dieu : ce n’est pas parce que j’ai perdu la foi que je vais soudain trahir mes amis, voler, violer, assassiner ou torturer.[j’ajouterai que la peur de la damnation éternelle en a peut-être retenu certains mais pas assez pour modifier de façon significative le cours des relations humaines] .
Perdre (ou ne pas avoir) la foi ne change rien à la connaissance et pas grand chose à la morale, mais change la dimension d’espérance – ou de désespoir- d’une existence humaine.
Quelles sont les réponses aux trois questions fondamentales de Kant : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Il est possible de répondre aux deux premières sans postuler l’existence de Dieu. La connaissance et la recherche de la vérité sont possibles sans Dieu (et les recherches scientifiques n’ont pu prendre leur essor qu’en s’affranchissant de la question de Dieu) ; la morale peut se passer de Dieu : ce n’est pas parce que j’ai perdu la foi que je vais soudain trahir mes amis, voler, violer, assassiner ou torturer.[j’ajouterai que la peur de la damnation éternelle en a peut-être retenu certains mais pas assez pour modifier de façon significative le cours des relations humaines] .
Perdre (ou ne pas avoir) la foi ne change rien à la connaissance et pas grand chose à la morale, mais change la dimension d’espérance – ou de désespoir- d’une existence humaine.
Que m’est-il permis d’espérer quand je n’ai pas la foi, quand je ne vois rien au-delà de la mort ? Les malheurs, les injustices sont définitifs : il n’y a pas la soupape de la vie, d’une « vie » après la mort, qui fait le succès des religions.
L’athée n’échappe pas à la lucidité de la finitude : il lui faut résoudre le problème du bonheur « ici et maintenant ».
Sagesse tragique : sagesse du bonheur et de la finitude… que Comte-Sponville situe dans le prolongement des épicuriens, des stoïciens et de Spinoza.
Sagesse tragique qui se passe de Dieu et qui postule que Dieu n’existe pas…
L’athée n’échappe pas à la lucidité de la finitude : il lui faut résoudre le problème du bonheur « ici et maintenant ».
Sagesse tragique : sagesse du bonheur et de la finitude… que Comte-Sponville situe dans le prolongement des épicuriens, des stoïciens et de Spinoza.
Sagesse tragique qui se passe de Dieu et qui postule que Dieu n’existe pas…
2 Dieu existe-t-il ?
A cette question aucune science ne peut répondre, car il n’y a pas de savoir, comme un résultat communicable et contrôlable, pas de démonstration ou d’expérience.
La preuve (ou la non-preuve) n’existe pas. Même si des raisons ou des arguments militent pour l’existence ou la non-existence..
Personne ne sait si Dieu existe ou non : le croyant qui affirme l’existence de Dieu, l’athée qui la nie, l’agnostique qui ne l’affirme ni ne la nie. Pour sa part Comte-Sponville se définit comme un athée non dogmatique : « je ne sais pas si Dieu existe, mais je sais que je crois qu’il n’existe pas. »
Faiblesse des preuves :
L’histoire de la philosophie fournit bien des tentatives de preuves qui, à l’examen, se sont révélées bien fragiles. Sans entrer dans le détail, un peu scolaire, relatons les principales :
- la preuve ontologique : Dieu existe, par définition ! Le concept de Dieu inclut l’être ; Dieu est le seul être qui existe par essence. De grands esprits ont soutenu cette preuve : Saint Anselme, Descartes, Spinoza, Leibniz ou Hegel mais elle a été combattue, aussi, par Saint Thomas, Pascal, Gassendi et Hume. Kant la ruinera pour la raison qu’une définition (domaine du possible) ne fait pas une existence (domaine du réel) ; le concept de Dieu reste le même que Dieu existe ou pas.
- la preuve cosmologique : rien n’existe ou n’est vrai sans cause ou sans raison (principe dit de raison suffisante cf. Leibniz). Le monde est incapable de rendre raison de lui-même : il n’est pas nécessaire mais contingent (il aurait pu ne pas exister). La raison suffisante du monde ce serait un « être » qui possède la raison de son existence avec soi. Il faudrait un être absolument nécessaire pour expliquer l’ensemble des choses contingentes.
Argument séduisant : mais la nécessité logique d’un être nécessaire prouve-t-ellel son existence ?[C’est une constante de l’esprit humain de passer du possible au nécessaire et d’ajouter de l’existence à l’imaginaire] Sûrement pas. Et penser Dieu comme l’être nécessaire ne résout pas le problème ; car affirmer que Dieu est à l’origine de toutes choses parce qu’il est lui-même cause de soi est ce qui le rend inexplicable. Car pourquoi Dieu plutôt que rien ? C’est reculer d’un cran la question, ce n’est pas la résoudre. L’existence de Dieu ne résout pas la problématique de l’existence de l’être : elle permet de se débarrasser de la question.
- la preuve physico-théologique : de l’existence concrète du monde, sa complexité, son ordre, sa beauté, on conclut à une intelligence créatrice et ordonnatrice. Vieil argument, popularisé par Voltaire par l’analogie de l’horloger « l’univers m’embarrasse , et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger », dont le dernier avatar est la théorie du « dessein intelligent ».
L’existence des catastrophes naturelles (tremblements de terre), des dérèglements biologiques [épidémies (peste, sida), maladies (cancers)] relève-t-elle d’un « dessein intelligent » et bienveillant ? Le vie, elle-même, peut être considérée comme le résultat de processus naturels ; l’homme lui-même comme l’aboutissement (provisoire) de l’évolution des espèces et de la sélection naturelle, qui ne nécessite point un plan providentiel d’un mystérieux créateur. Et le jour où le soleil n’existera plus, la question ne se posera plus !
La preuve (ou la non-preuve) n’existe pas. Même si des raisons ou des arguments militent pour l’existence ou la non-existence..
Personne ne sait si Dieu existe ou non : le croyant qui affirme l’existence de Dieu, l’athée qui la nie, l’agnostique qui ne l’affirme ni ne la nie. Pour sa part Comte-Sponville se définit comme un athée non dogmatique : « je ne sais pas si Dieu existe, mais je sais que je crois qu’il n’existe pas. »
Faiblesse des preuves :
L’histoire de la philosophie fournit bien des tentatives de preuves qui, à l’examen, se sont révélées bien fragiles. Sans entrer dans le détail, un peu scolaire, relatons les principales :
- la preuve ontologique : Dieu existe, par définition ! Le concept de Dieu inclut l’être ; Dieu est le seul être qui existe par essence. De grands esprits ont soutenu cette preuve : Saint Anselme, Descartes, Spinoza, Leibniz ou Hegel mais elle a été combattue, aussi, par Saint Thomas, Pascal, Gassendi et Hume. Kant la ruinera pour la raison qu’une définition (domaine du possible) ne fait pas une existence (domaine du réel) ; le concept de Dieu reste le même que Dieu existe ou pas.
- la preuve cosmologique : rien n’existe ou n’est vrai sans cause ou sans raison (principe dit de raison suffisante cf. Leibniz). Le monde est incapable de rendre raison de lui-même : il n’est pas nécessaire mais contingent (il aurait pu ne pas exister). La raison suffisante du monde ce serait un « être » qui possède la raison de son existence avec soi. Il faudrait un être absolument nécessaire pour expliquer l’ensemble des choses contingentes.
Argument séduisant : mais la nécessité logique d’un être nécessaire prouve-t-ellel son existence ?[C’est une constante de l’esprit humain de passer du possible au nécessaire et d’ajouter de l’existence à l’imaginaire] Sûrement pas. Et penser Dieu comme l’être nécessaire ne résout pas le problème ; car affirmer que Dieu est à l’origine de toutes choses parce qu’il est lui-même cause de soi est ce qui le rend inexplicable. Car pourquoi Dieu plutôt que rien ? C’est reculer d’un cran la question, ce n’est pas la résoudre. L’existence de Dieu ne résout pas la problématique de l’existence de l’être : elle permet de se débarrasser de la question.
- la preuve physico-théologique : de l’existence concrète du monde, sa complexité, son ordre, sa beauté, on conclut à une intelligence créatrice et ordonnatrice. Vieil argument, popularisé par Voltaire par l’analogie de l’horloger « l’univers m’embarrasse , et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger », dont le dernier avatar est la théorie du « dessein intelligent ».
L’existence des catastrophes naturelles (tremblements de terre), des dérèglements biologiques [épidémies (peste, sida), maladies (cancers)] relève-t-elle d’un « dessein intelligent » et bienveillant ? Le vie, elle-même, peut être considérée comme le résultat de processus naturels ; l’homme lui-même comme l’aboutissement (provisoire) de l’évolution des espèces et de la sélection naturelle, qui ne nécessite point un plan providentiel d’un mystérieux créateur. Et le jour où le soleil n’existera plus, la question ne se posera plus !
Faiblesse des expériences
Si Dieu existait, cela devrait se sentir. Dieu se cache : il est invisible. Réputé tout puissant il refuse de se montrer. L’hypothèse est que Dieu se cache pour respecter notre liberté et permettre la foi (cf. Kant). Mais c’est supposer que l’ignorance est un facteur de liberté, ce qui est, pour le moins, paradoxal. [curieusement Comte-Sponville n’évoque pas la manière dont le christianisme a « résolu » le problème : Dieu se manifeste par son fils « Jésus » - lequel s’est senti tout de même abandonné sur la croix- et par ses miracles]. Les mystiques se sentent les témoins d’un contact direct avec Dieu ; beaucoup disent que la prière est l’occasion d’une rencontre avec Dieu. Expériences sincères, sans aucun doute : mais une expérience que tous ne partagent pas et qui n’est ni contrôlable ni réitérable reste bien fragile, comme preuve.
Faiblesse de l’explication par Dieu
Croire en Dieu, d’un point de vue théorique, cela revient à vouloir expliquer quelque chose qu’on ne comprend pas -le monde, la vie, la conscience- par quelque chose que l’on comprend encore moins : Dieu. Au mystère du monde, il n’est pas utile d’ajouter le mystère de Dieu. Croyant et athée peuvent se rejoindre sur une chose : c’est que si l’Un (= le principe de toutes choses) existe, on ne peut rien en dire. « Il n’y a même pas de nom pour le désigner ; on ne peut ni le désigner, ni le sentir, ni le juger » (Parménide/Platon) .
Excès du mal
Aux raisons de ne pas croire en Dieu (arguments négatifs) il faut ajouter les arguments positifs de croire que Dieu n’existe pas. C’est l’existence du mal qui « pose problème » et qui tourmente les penseurs et théologiens.
Epicure dans ce domaine va à l’essentiel : « Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut ; ou il le peut et ne le veut ; ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s’il le peut et ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient seul à Dieu, d’où vient donc le mal, ou pourquoi ne le supprime-t-il pas ?.
A cette difficulté deux réponses principales sont apportées : le première est que si le monde ne comportait aucun mal il serait parfait ; mais s’il était parfait, il serait Dieu ; la deuxième est que le mal est la conséquence de la liberté humaine (les hommes peuvent librement choisir le bien, mais ils choisissent le mal) ; Dieu est exonéré du mal, dans les deux cas.
Mais qui oserait parler de liberté humaine (et de péché originel) devant les maladies, les catastrophes naturelles ? Qui ose parler de la bonté de Dieu devant la mort d’un enfant ?
Et bien avant l’apparition de l’homme des milliards d’animaux ont dévoré des milliards d’autres. L’invention des carnivores était-elle nécessaire au plan divin ? La vie est d’une violence et d’une injustice effrayantes. Et l’homme est un … carnivore !
Reste à penser non plus la toute puissance de Dieu mais son impuissance ou sa faiblesse et à supposer un Dieu désarmé qui n’a pu créer le monde et l’homme qu’en renonçant à la toute-puissance (cf. Le Concept de Dieu après Auschwitz de Hans Jonas). Mais un Dieu faible est-il encore Dieu ?
Reste à dire que le mal est un mystère ! Nous voilà bien avancés !
Mieux vaut reconnaître le mal pour ce qu’il est – dans sa banalité et sa démesure, dans son évidence atroce et inacceptable-, le voir en face, et le combattre, tant qu’on peut. Ce n’est pas de foi que l’on a besoin mais d’action.
Au total Comte-Sponville est résolument athée, on l’aura bien compris. Un athéisme argumenté et non militant, éloigné des fanatismes religieux et laïcs avec la valeur centrale de la liberté de l’esprit.
Si Dieu existait, cela devrait se sentir. Dieu se cache : il est invisible. Réputé tout puissant il refuse de se montrer. L’hypothèse est que Dieu se cache pour respecter notre liberté et permettre la foi (cf. Kant). Mais c’est supposer que l’ignorance est un facteur de liberté, ce qui est, pour le moins, paradoxal. [curieusement Comte-Sponville n’évoque pas la manière dont le christianisme a « résolu » le problème : Dieu se manifeste par son fils « Jésus » - lequel s’est senti tout de même abandonné sur la croix- et par ses miracles]. Les mystiques se sentent les témoins d’un contact direct avec Dieu ; beaucoup disent que la prière est l’occasion d’une rencontre avec Dieu. Expériences sincères, sans aucun doute : mais une expérience que tous ne partagent pas et qui n’est ni contrôlable ni réitérable reste bien fragile, comme preuve.
Faiblesse de l’explication par Dieu
Croire en Dieu, d’un point de vue théorique, cela revient à vouloir expliquer quelque chose qu’on ne comprend pas -le monde, la vie, la conscience- par quelque chose que l’on comprend encore moins : Dieu. Au mystère du monde, il n’est pas utile d’ajouter le mystère de Dieu. Croyant et athée peuvent se rejoindre sur une chose : c’est que si l’Un (= le principe de toutes choses) existe, on ne peut rien en dire. « Il n’y a même pas de nom pour le désigner ; on ne peut ni le désigner, ni le sentir, ni le juger » (Parménide/Platon) .
Excès du mal
Aux raisons de ne pas croire en Dieu (arguments négatifs) il faut ajouter les arguments positifs de croire que Dieu n’existe pas. C’est l’existence du mal qui « pose problème » et qui tourmente les penseurs et théologiens.
Epicure dans ce domaine va à l’essentiel : « Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut ; ou il le peut et ne le veut ; ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s’il le peut et ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient seul à Dieu, d’où vient donc le mal, ou pourquoi ne le supprime-t-il pas ?.
A cette difficulté deux réponses principales sont apportées : le première est que si le monde ne comportait aucun mal il serait parfait ; mais s’il était parfait, il serait Dieu ; la deuxième est que le mal est la conséquence de la liberté humaine (les hommes peuvent librement choisir le bien, mais ils choisissent le mal) ; Dieu est exonéré du mal, dans les deux cas.
Mais qui oserait parler de liberté humaine (et de péché originel) devant les maladies, les catastrophes naturelles ? Qui ose parler de la bonté de Dieu devant la mort d’un enfant ?
Et bien avant l’apparition de l’homme des milliards d’animaux ont dévoré des milliards d’autres. L’invention des carnivores était-elle nécessaire au plan divin ? La vie est d’une violence et d’une injustice effrayantes. Et l’homme est un … carnivore !
Reste à penser non plus la toute puissance de Dieu mais son impuissance ou sa faiblesse et à supposer un Dieu désarmé qui n’a pu créer le monde et l’homme qu’en renonçant à la toute-puissance (cf. Le Concept de Dieu après Auschwitz de Hans Jonas). Mais un Dieu faible est-il encore Dieu ?
Reste à dire que le mal est un mystère ! Nous voilà bien avancés !
Mieux vaut reconnaître le mal pour ce qu’il est – dans sa banalité et sa démesure, dans son évidence atroce et inacceptable-, le voir en face, et le combattre, tant qu’on peut. Ce n’est pas de foi que l’on a besoin mais d’action.
Au total Comte-Sponville est résolument athée, on l’aura bien compris. Un athéisme argumenté et non militant, éloigné des fanatismes religieux et laïcs avec la valeur centrale de la liberté de l’esprit.
3 Quelle spiritualité pour les athées ?
Ne pas croire en Dieu, ne pas avoir de religion, ce ne sont pas des raisons pour renoncer à toute vie spirituelle. Que l’on croie ou non à Dieu, au surnaturel ou au sacré, on n’en est pas moins confronté à l’infini, à l’éternité, à l’absolu et à soi-même. Nous sommes des êtres finis ouverts sur l’infini, des êtres éphémères ouverts sur l’éternité, des êtres relatifs ouverts sur l’absolu.
Etre athée ce n’est pas nier l’existence de l’absolu : c’est nier que l’absolu soit Dieu.
L’absolu est indicible mais il s’éprouve dans l’émerveillement de cette évidence : il y a quelque chose et non pas rien. Emerveillement que chacun a rencontré , au moins une fois dans sa vie, lors de la contemplation du ciel étoilé la nuit. Alors le mystère de l’absolu (du fait qu’il y ait de l’être) s’éprouve comme sentiment océanique : « s’éprouver UN avec le TOUT ». Expérience mystique, sans aucun doute, mais expérience mystique athée. Comte-Sponville décrit (p 166 et suivantes) sa propre expérience mystique, ce sentiment de bonheur qu’il y a à éprouver le sentiment d’éternité et rejoindre ainsi la certitude spinoziste : « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », écrit Spinoza dans l’Ethique – non que nous le serons, après la mort, mais que nous le sommes, ici et maintenant. Révélation sans Dieu.
Révélation incommunicable ? « Ce dont on ne peut parler, disait Wittgenstein, il faut le taire » ; à moins justement que le mystère de l’être ce soit son évidence (les évidences ne se communiquent pas, ni ne se disent car elles cesseraient d’être des évidences) Toujours Wittgenstein : « la solution de l’énigme, c’est qu’il n’y a pas d’énigme » ;
Le mystère et l’évidence sont un, et c’est le monde.
Au quotidien, c’est être un avec tout, et dans les moments, moins exceptionnels qu’on ne le supposerait, de plénitude (en faisant du sport, en écoutant Mozart, devant un paysage sublime, en aimant, en compagnie d’amis), où l’on cesse de désirer quoi que soit d’autre que ce qui est. Sagesse de l’immanence : nous ne sommes plus séparés du réel par les mots même qui nous servent à le dire ; nous sommes pleinement dans le présent. Nous ne connaissons ni le passé ni le futur, seulement le présent, l’éternel présent.
Au total, qu’est-ce que la spiritualité ? C’est notre rapport fini à l’infini, éprouvé par notre expérience temporelle de l’éternité, voie d’accès relatif à l’absolu. Expérience temporelle qui ne se constate que dans le présent.
Eternité du présent : présence de l’éternité, conclut Comte-Sponville.
Il faut donc Vivre au présent. Et accepter ce qui est, tel qu’il est : il n’y a rien d’autre que l’ensemble de tout ce qui arrive : le monde, le réel. Et cela est au-delà du bien et du mal : « le bien et le mal n’existent pas dans la Nature »(Spinoza). La réalité se suffit à elle-même : elle est « parfaite » (toujours Spinoza : la réalité et la perfection sont une seule et même chose). Cette « perfection » du réel (il n’y a pas de double fond ; le réel est sans double comme dit Clément Rosset) ne conduit pas à nier les souffrances et les actes bons ou mauvais, ce qui serait absurde mais à les remettre à leur vraie place. Car il ne s’agit pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il s’agit de comprendre que tout va comme il va dans le seul monde réel, qui est le monde. La morale est relative aux hommes et non à l’absolu.
Etre athée ce n’est pas nier l’existence de l’absolu : c’est nier que l’absolu soit Dieu.
L’absolu est indicible mais il s’éprouve dans l’émerveillement de cette évidence : il y a quelque chose et non pas rien. Emerveillement que chacun a rencontré , au moins une fois dans sa vie, lors de la contemplation du ciel étoilé la nuit. Alors le mystère de l’absolu (du fait qu’il y ait de l’être) s’éprouve comme sentiment océanique : « s’éprouver UN avec le TOUT ». Expérience mystique, sans aucun doute, mais expérience mystique athée. Comte-Sponville décrit (p 166 et suivantes) sa propre expérience mystique, ce sentiment de bonheur qu’il y a à éprouver le sentiment d’éternité et rejoindre ainsi la certitude spinoziste : « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », écrit Spinoza dans l’Ethique – non que nous le serons, après la mort, mais que nous le sommes, ici et maintenant. Révélation sans Dieu.
Révélation incommunicable ? « Ce dont on ne peut parler, disait Wittgenstein, il faut le taire » ; à moins justement que le mystère de l’être ce soit son évidence (les évidences ne se communiquent pas, ni ne se disent car elles cesseraient d’être des évidences) Toujours Wittgenstein : « la solution de l’énigme, c’est qu’il n’y a pas d’énigme » ;
Le mystère et l’évidence sont un, et c’est le monde.
Au quotidien, c’est être un avec tout, et dans les moments, moins exceptionnels qu’on ne le supposerait, de plénitude (en faisant du sport, en écoutant Mozart, devant un paysage sublime, en aimant, en compagnie d’amis), où l’on cesse de désirer quoi que soit d’autre que ce qui est. Sagesse de l’immanence : nous ne sommes plus séparés du réel par les mots même qui nous servent à le dire ; nous sommes pleinement dans le présent. Nous ne connaissons ni le passé ni le futur, seulement le présent, l’éternel présent.
Au total, qu’est-ce que la spiritualité ? C’est notre rapport fini à l’infini, éprouvé par notre expérience temporelle de l’éternité, voie d’accès relatif à l’absolu. Expérience temporelle qui ne se constate que dans le présent.
Eternité du présent : présence de l’éternité, conclut Comte-Sponville.
Il faut donc Vivre au présent. Et accepter ce qui est, tel qu’il est : il n’y a rien d’autre que l’ensemble de tout ce qui arrive : le monde, le réel. Et cela est au-delà du bien et du mal : « le bien et le mal n’existent pas dans la Nature »(Spinoza). La réalité se suffit à elle-même : elle est « parfaite » (toujours Spinoza : la réalité et la perfection sont une seule et même chose). Cette « perfection » du réel (il n’y a pas de double fond ; le réel est sans double comme dit Clément Rosset) ne conduit pas à nier les souffrances et les actes bons ou mauvais, ce qui serait absurde mais à les remettre à leur vraie place. Car il ne s’agit pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il s’agit de comprendre que tout va comme il va dans le seul monde réel, qui est le monde. La morale est relative aux hommes et non à l’absolu.
Conclusion
Une spiritualité sans Dieu (transcendant ou instrumentalisé par la religion) est possible ; l’expérience de l’absolu (qui n’est pas Dieu !) est possible. Les expériences mystiques sont suspectes aux yeux des Eglises qui y voient un passage à l’athéisme. Le mystique est le contraire d’un prophète : « le prophète reçoit et transmet la parole de Dieu, à laquelle il adhère par la foi ; le mystique est sensible à une lumière intérieure qui le dispense de croire. Entre les deux, il faut choisir.(1).
Comte-Sponville choisit l’acceptation du réel, tel qu’il est, et se dispense de croire.
Comte-Sponville choisit l’acceptation du réel, tel qu’il est, et se dispense de croire.
(1) La mystique et les mystiques du Père de Lubac