Commentaire de Franck Lelièvre relatif au livre de Comte-Sponville : L'esprit de l'athéisme. Lire la Note de Lecture
Donc une philosophie « athée » ? La chose est attirante. Nietzsche dit que les philosophes sont des êtres inquiétants « qui sapent et qui forent ». Des athées en somme ! Et voilà ce qu’on a dit de Socrate et de Spinoza, de Descartes aussi, sans parler de Bergson, quand « l’Evolution créatrice » fut mise à l’index.
J’ai donc lu avec intérêt cette recension, un peu surpris tout de même de voir un matérialiste faire l’éloge de « l’esprit » et un athée proclamer que tous les hommes sont « frères » et doivent « s’aimer les uns les autres » .
Ce que j’en lis me suggère deux remarques.
La première porte sur la référence à Durkheim et sur l’étymologie de religion. Il est certain qu’on peut vivre à titre individuel sans « religion ». C’est même l’antique prétention de la sagesse, symbolisée parfois par l’image d’une main qui se ferme sur elle-même. Il est moins certain qu’une société puisse faire l’économie du religieux. Durkheim, je l’ai appris du beau livre de Camille Tarot (1) qui vient de sortir, relie le sacré non pas du tout à Dieu, ou au surnaturel, mais au « fait social » Sacré redoutable, protégé par des rituels, tel celui qui fit Socrate avant sa mort sacrifier un coq pour se mettre en règle avec sa Cité. Religio comme le rappelle Tarot, est une notion romaine qui veut dire respect scrupuleux et superstitieux des rituels et des obligations. Pas du tout « lecture » de textes, même si je crois que le rite de l’étude des lettres et de la philosophie par ses œuvres est essentielle à la permanence de notre République.
Ma seconde remarque est une question. J’ai bien aimé le passage sur l’expérience mystique. Je suis moins convaincu par la nécessité des discuter des « preuves métaphysiques » , lesquelles n'ont jamais à mon avis, converti qui que ce soit ni empêché de croire un croyant même très scrupuleux. Je crois cependant que Comte-Sponville, à le lire, se donne la partie facile en se « déclarant athée fidèle, c’est-à-dire un homme qui ne croit pas en Dieu, mais fidèle à ces valeurs millénaires et notamment aux valeurs judéo-chrétiennes. Et, citant Spinoza, de rappeler que toute la loi est dans « la justice et la charité ». Curieux athéisme qui se réclame de valeurs dont on chercherait en vain une appréhension seulement rationnelle. Enfin, il est problématique de dire « qu’être athée ce n’est pas nier l’existence de l’absolu : c’est nier que l’absolu soit Dieu ». Le mystère de l’absolu ou de l’éternité dont, depuis son premier livre, André Comte-Sponville prétend qu’il peut se vivre dans un présent ? Mais c’est précisément ce qui permit à Spinoza de poser « Dieu » dans l’immanence ou à Epicure de prétendre « être comme un Dieu parmi les hommes ».
Alors contre Dieu ou tout contre lui ? Encore un effort pour s’en passer ?
(1) Le symbolique et le sacré