Synopsis (1) de la conférence faite le 30 septembre 2009 à l'auditorium du Musée des Beaux Arts de Caen par E. Laloy L'expérience romantique du monde

1) Document comportant les idées principales, les articulations, la plupart des illustrations (y compris musicales) ainsi que les citations utilisées le 30 septembre, ceci visant à transmettre une vue d'ensemble de la conférence.


Introduction

  • Comment caractériser le romantisme? Par delà l'affirmation qu'il est impossible à cerner ou les idées descriptives en donnant une approche extérieure  (mouvement exaltant la nuit et le rêve, aimant la mort, les ruines, cultivant l'irrationalité, se désintéressant du réel, ayant célébré le primat de l'amour passion...), il nous semble que
  • Deux perspectives permettent d'en saisir l'unité : la philosophie de la nature à laquelle il s'alimente et l'affirmation centrale chez les romantiques allemands que l'accès à l'infini est accessible à l'homme. Elles constitueront le plan de la conférence (Romantisme et nature. Romantisme et infini)
  • Il nous semble surtout qu'une formule permet d'unifier ces deux visages en faisant découvrir  que c'est un impératif formulé par Novalis qui permet le mieux de saisir ce qu'est l'expérience romantique du monde : « Le monde doit être romantisé » (fragment de 1798), la finalité de notre propos étant de montrer quel sens donner à cette formule.
  • Quelques données sur les romantiques et leur approche dans la conférence

 

  •  
 
Germaniques
Français Anglais d'ailleurs

Goethe

*Romantisme d'Iéna (1797-1804) :
A.W. SchlegelF. Schlegel et Novalis, Wackenroder etTieck; Hölderlin, Hegel et Schelling

*Romantisme de Heidelberg (1804-10) puis de Berlin (1809-20) : Clemens Brentano, Achim et Bettina von ArnimEichendorffChamissoKleist,La Motte-Fouqué, HoffmannMörike, Heine...

(au 18è préromantisme Rousseau)

Chateaubriand - Gautier - Hugo - Lamartine - Lautréamont - Mérimée - Michelet - Musset - Nerval - Baudelaire - George Sand- Mme de Staël - Stendhal - Vigny...
(au 18è : pseudo Ossian)

William Blake, Wordsworth, Coleridge, Shelley, Keats, Byron...

 
Caspar David Friedrich
Philip Otto Runge (1777-1810 )
Karl Gustav Carus (1789-1869)
Karl Eduard Blechen(1798-1840)
Moritz von Schwind (1804-1871)
Arnold Böcklin (1827-1901) ...
 (1770-1840)
Théodore Géricault (1791-1824)
Eugène Delacroix(1798-1863)
Ary Scheffer (1775-1858)
...
William Blake (1757-1827)
J.M.W. Turner (1775-1851)
John Constable (1776-1837)
Goya

3 périodes dans le romantisme musical

(1810-1830) Carl Maria von Weber, Beethoven, Schubert

(1830-1850) Mendelssohn, Chopin, Schumann, Liszt

(1850-1900) Liszt, Wagner, Bruckner, BrahmsWolf, Mahler, R Strauss

Berlioz (1803-1869)

Meyerbeer (1791-1864) Auber (1782-1864) Halévy (1799-1862)

...
  Verdi

Tchaïkowski

Grieg

Dvorak

Sibélius

 
Noms en gras : ceux dont des oeuvres ou écrits sont convoqués dans la conférence dont on voit qu'elle est centrée sur les romantiques allemands
Noms en italique : artistes de moindre renommée
 
  • Regarder l'église Saint Pierre à Caen avec les yeux des romantiques allemands introduit à leur expérience du monde

stpierre2

 

« Les piliers gothiques ont été justement comparés [par Goethe] à la fière voûte d'un grand arbre qui s'élève.[...] On pourrait également [...] les comparer aux jets d'eau d'une puissante fontaine quand ils retombent aussi épais que lorsqu'ils s'élèvent en jaillissant.[..] En un mot ces oeuvres merveilleuses de l'art, au regard de l'infinité organique et de la plénitude inépuisable de la forme, ressemblent avant tout aux oeuvres et aux productions de la nature elle-même.[...] L'architecture [...] peut présenter pour ainsi dire directement l'infini et le rendre présent par une simple imitation de la plénitude naturelle, sans faire allusion aux idées et aux mystères du christianisme. » F Schlegel Cologne, année 1805 extrait de ses Carnets de voyage cité dans La forme poétique du monde pp618-20.
(Cette conférence doit beaucoup comme on le constatera à cet ouvrage remarquable de Charles Le Blanc, Laurent Margantin et Olivier Schefer, alliant textes romantiques et analyses pertinentes publié chez José Corti en 2003)
 

Romantisme et nature

 

« Tout est organisme » (Schelling)
  • La nature est un organisme animé, non plus une mécanique décomposable en ses éléments divers. Opposition au rationalisme cartésien et newtonien, à l'esprit des lumières (cf  A. Béguin L'âme romantique et le rêve p. 91)
  • Implications
  • Si tout est organisme, il existe des analogies entre les réalités naturelles et ce que vit l'homme, que l'artiste décrypte. « N'est-il pas étrange que nous ressentions si clairement toute notre vie comme une évidence lorsque nous voyons passer de lourds nuages épais devant la lune, ou quand nous voyons leurs bords dorés par la lune, ou encore la lune totalement disparaître derrière les nuages? Il nous semble alors évident que nous pouvons décrire toute l'histoire de notre vie avec de telles images; » écrit Phipip Otto Runge (cité dans La forme poétique du monde p.591)
  • Saisir ces analogies est un principe fondamental de l'approche romantique de la nature, une première figure de la romantisation de la nature. Ainsi c'est une image de ce qu'il vit que le marcheur du Voyage d'hiver lit dans par exemple le septième poème du cycle
Schubert Lied 7 du Voyage d'Hiver : Auf dem Flusse Thomas Quasthoff et Daniel Barenboïm

 

Auf dem Flusse

Der du so lustig rauschtest,

Du heller, wilder Fluß,

Wie still bist du geworden,

Gibst keinen Scheidegruß.

Mit harter, starrer Rinde

Hast du dich überdeckt,

Liegst kalt und unbeweglich

Im Sande ausgestreckt.

[...]

Mein Herz, in diesem Bache

Erkennst du nun dein Bild?

Ob's unter seiner Rinde

Wohl auch so reißend schwillt?

Sur la rivière

Toi qui bruissais si joyeux

Toi fleuve clair et impétueux,

Comme tu es devenu calme,

Sans aucun signe d'adieu.

D'une écorce dure et inflexible

Tu t'es entièrement recouvert,

Tu reposes froid et immobile

Étendu sur le sable. (...)

[...]

Mon coeur, dans ce ruisseau,

Reconnais-tu ton image?

Sous ton écorce impassible

Le bouillonnement est-il aussi violent?
   
 
 
  • Nouvelle approche de l'oeuvre d'art dans la critique esthétique comme un organisme, avec recherche de ce qui la constitue comme telle. 
Le galvanisme et sa signification : forces, contraires, fragments et dynamisme
 
  • Autre élément clé de la philosophie de la nature romantique
 
 
  • Ritter : volonté de démontrer expérimentalement l'unité essentielle des forces agissant dans la nature organique et inorganique. Opposition à la physique newtonienne. Intérêt aux polarités (pôles positif et négatif) et à l'énergie qu'elles suscitent. « Pour lui, le galvanisme [de Galvani ayant mis en évidence l'existence de l'électricité nerveuse chez les animaux] était un principe vital qui animait tous les êtres et toutes les choses, et qui permettait de penser le monde comme un immense réseau de forces. » La forme poétique du monde p.52 Galvanisme considéré comme principe explicatif du soulèvement des montagnes, du volcanisme, de l'apparition de la vie dans le foetus.
  • Novalis pense que l'énergie jaillie de pôles antagonistes est à la base des phénomènes de synthèse, construction, décomposition dans le vivant.
  • Rapprochement à faire avec la dialectique comme explication du réel naturel (philosophie de la nature), humain et historique : Hegel. Marqué par cette philosophie de la nature, Carus conçoit la peinture de paysage comme l'expression des forces de l'univers, et non comme une reproduction de formes inertes. (cf La forme poétique du Monde p.428) 
Tableau illustrant cette approche Blechen Scaffold dans l'orage 1833
 
blechen scaffold in storm 1833

 

Blechen Scaffold dans l'orage 1833

  • Autres implications : mise en rapport d'éléments opposés
  • « Nous sentons qu'une rigueur inflexible et une éternité féconde, d'un côté, et un tendre amour éternel et infini, de l'autre, s'opposent durement et dans une lutte acharnée, comme le dur et le mou, les rochers et l'eau. Nous rencontrons ces deux éléments en toutes choses, dans les plus petites comme dans les plus grandes, dans le tout comme dans le singulier : ces deux éléments ont été institués comme les êtres fondamentaux du monde et dans le monde, ils proviennent de Dieu, et seul Dieu les surpasse. Au début, ces éléments s'opposent fermement et avec violence en chaque chose créée par Dieu et fondée dans l'homme et dans la nature. Plus ce conflit est dur, et plus chaque chose s'éloigne de son accomplissement, plus les éléments se rassemblent, et plus elle s'approche de son accomplissement (..) Nous sentons en nous-mêmes cet échange éternel entre les choses, mais nous le sentons aussi dans le monde entier, en chaque chose inerte, et dans l'art. » P.O. Runge cité dans La forme poétique du Monde p.586
  • Illustration : le recours aux oppositions (dynamiques, rythmiques, de tessiture...) chez Beethoven 

 

Sonate La Tempête 1er mouvement par Sviatoslav Richter

Si dans la Tempête de Shakespeare on a l'opposition du bien et du mal via les personnages et l'intrigue, on y a surtout l'opposition entre le destin et la liberté, et la victoire de la liberté du personnage principal sur le destin. C'est cette opposition qui est à l'oeuvre dans la sonate de Beethoven, composée au moment où Beethoven sait que sa surdité est irréversible. (cf testament de Heiligenstadt).

  • Art et fragments
  • Le recours aux fragments chez les romantiques en littérature (Novalis, Hoffmann), en philosophie (Nietzsche) donne de l'importance aux interactions, aux possibles synthèses, aux rapprochements audacieux et imprévus  entre des éléments étrangers. Cf. La forme poétique du Monde p.50 
  • C'est dans cette perspective que doit être envisagée l'évolution des formes en musique, avec la succession de fragments brefs comme en particulier chez Schumann, avec le dynamisme qui en résulte

 

Illustration : Schumann Scène de la forêt n°2 (Le chasseur à l'affût) par Arcadi Volodos

 

  • Ainsi, la romantisation de la nature par le poète, l'artiste, consiste également (2ème visage) à manifester les polarités, les dualités dynamiques à l'oeuvre dans et entre les réalités et à les mettre en relation les unes avec les autres.

Nature et religion

  • Troisième caractéristique de de la philosophie de la nature romantique : la nature est vue comme un lieu où le sacré, précédemment réservé à la sphère religieuse se manifeste.
  • Illustration : la peinture de C.D. Friedrich

fried retable tetschen

C.D. Friedrich La Croix dans les montagnes (le retable de Tetschen) 1808
  • « Friedrich heurta fortement les sensibilités de son temps en proposant un paysage, en lieu et place d'un retable : le Retable de Tetschen (1807-8). Le Christ en croix y apparaît au sommet d'une colline, présenté de trois quarts. Il se confond presque avec les sapins, de sorte que la croix elle-même (sur le pied de laquelle pousse du lierre) devient un élément naturel au même titre que les arbres. La richesse symbolique de l'oeuvre de Friedrich tient ici, comme en bien d'autres endroits, à la double lecture qu'elle autorise : la scène religieuse se dissout dans la nature, tout en élevant celle-ci sur l'autel de la foi chrétienne. Les symboles religieux, présents dans l'oeuvre de Friedrich, sont la plupart du temps mêlés directement à la nature. Comme si sortant de son lieu de culte habituel, la religion venant à se fondre, à se dissoudre dans le tout naturel pour accomplir la perspective mystique, évoquée par Novalis dans une de ses lettres, d'une « religion de l'univers visible ». Olivier Schefer in La forme poétique du monde pp.572-3
  • Nouveau visage de la romantisation : l'artiste romantique en exhaussant la nature en religion et en dissolvant la religion en nature participe à la création d'une «religion de l'univers visible» évoquée par Novalis.

 
Nuit, clair de lune, nocturne
  • Les romantiques «cherchent l’obscure clarté (...) pour écouter les voix de la nature.» C'est la nuit «que se célèbrent les noces, de la conscience et de la nature» (Jankélévitch Le Nocturne 1937) «La nuit est le lieu des révélations essentielles, la médiatrice entre l'homme et l'infini, le moment de communication avec le surnaturel. Dans le silence de la nuit et la magie des clairs de lune, on croit percevoir les voix de l'infini; l'univers semble s'agrandir.» La forme poétique du monde p.169
  • C'est sous cet angle qu'il faut envisager l'importance dans les poèmes et les tableaux romantiques du clair de lune, tout de même que la création en musique d'une forme nouvelle : le Nocturne 
  • « Il faut aimer beaucoup la nuit, la chercher même durant le jour, là où on peut la trouver, dans les forêts et dans les cathédrales. » Jankélévitch

Conclusions

Au terme de cette caractérisation de la nature pour les romantiques allemands, on peut la traduire en acquis pour progresser dans la définition du romantisme envisagé comme acte de romantiser le réel :

Romantiser c'est

*manifester les analogies entre la nature et la vie intérieure humaine, par la médiation de la nuit en particulier

*manifester les polarités et le dynamisme à l'oeuvre dans les choses

*rapprocher jusqu'à les fusionner et  les unifier nature et religion

 


Romantisme et infini

Deux langages merveilleux

« Je connais deux langages merveilleux par lesquels [le Créateur a permis aux hommes de] saisir et [de] comprendre les choses célestes dans toute leur puissance, dans la mesure où c'est possible à des créatures mortelles. Ils pénètrent notre intériorité par de tout autres voies que celle des mots; ils émeuvent d'un seul coup, et de merveilleuse manière, notre être entier et s'immiscent en chaque nerf, en chaque goutte de sang qui nous appartient. Je veux dire : la nature et l'art. » Wackenroder Effusions de coeur d'un moine ami des arts (1797) cité in La forme poétique du monde p. 546

Présence de l'infini dans le fini

  • Au coeur de la philosophie de la nature romantique il y a l'affirmation, mieux l'expérience, que la nature manifeste le divin, c'est à dire l'absolu ou encore l'infini. « Toutes choses, dans notre univers sensible, ont une signification symbolique, sont le reflet à moitié lumineux, à moitié obscur encore de la réalité suprême » comme l'écrit Albert Béguin op cit p.93 
  • « Une belle vallée fermée par des rochers aux formes inquiétantes, ou une rivière calme, où se reflètent des arbres penchés, ou encore une prairie verte et riante ensoleillée par le ciel bleu, ah! ces choses ont agité au fond de mon coeur plus d'émotions merveilleuses, ont empli mon esprit de  la toute puissance et de la toute bonté de Dieu avec plus de profondeur, et ont purifié et élevé toute mon âme bien plus que le langage des mots ne pourra jamais le faire. La nature éternellement vivante et infinie nous élève à travers les vastes espaces directement vers la divinité. »   écrit WH Wackenroder  
  • C'est dans cette perspective que doivent être regardés de très nombreuses oeuvres de Friedrich, dont ce

Paysage de rivière de montagne au clair de lune (1830/5)

paysage de nuit fried

  • C'est d'une expérience mystique que témoigne P.O. Runge : « Quand le ciel au dessus de moi fourmille d'étoiles innombrables, quand le vent siffle de par le vaste espace, que la vague se brise en grondant dans l'immense nuit, que le ciel rougeoie au dessus de la forêt, que le soleil illumine le monde, je me précipite dans l'herbe parmi les gouttes de rosée scintillantes. Chaque feuille et chaque brin grouille de vie, la terre vit et s'anime sous moi, tout résonne dans un accord harmonieux, mon âme exulte alors puissamment et plane alentour dans l'espace infini. Il n'y a plus rien en dessous et plus rien au dessus, plus de temps, plus de commencement ni de fin, j'entends et je ressens l'Ode vivante de Dieu qui tient et porte le monde, Dieu en qui tout vit et agit. » Lettre à Daniel Runge Dresde 9 mars 1802 (cité dans La Forme Poétique du monde pp.585-6)
 
Du beau au sublime
A l'époque romantique la beauté au sens classique fait place au sublime. Mais derrière le pittoresque des sommets inaccessibles, des éléments déchaînés, des volcans, des abîmes... c'est la manifestation de l'infini qu'il faut y lire. Si l'on accepte avec Rilke  que le sublime est l'accomplissement du beau , avec le sublime  la remarquable définition de F Schlegel « La beauté est l'infini sous la forme du fini » trouve une illustration particulièrement forte.
 
 
 
 
La perception de l'absolu est donnée à l'homme. Transformation de la notion de religion
 
  • Pour les penseurs du romantisme l'homme n'est pas limité à la connaissance des phénomènes; il peut connaître l'absolu. C'est ce dont témoigne en particulier leur expérience de la nature : le sentiment de l'infini que l'homme y éprouve est une expérience de l'Absolu.   
  • C'est ce sentiment qui pour les romantiques constitue la vérité de la religion (« La religion se définit comme sentiment, intuition de l'infini » écrit Schleiermacher dans le Discours sur la religion), avec tous les décentrements que cela implique des textes et institutions vers la nature et la religion naturelle. Les choses finies expriment l'Infini . 
 
Voies privilégiées d'accès à l'absolu : le rêve, l'inconscient, l'exploration de son intériorité
 
  • À Carus, Friedrich confia un jour que la singulière concentration de la lumière, qui frappe dans tous ses tableaux, lui était apparue d'abord dans un rêve nocturne, avant qu'il pût la découvrir dans la nature.
  • À côté du rêve nocturne, il y a le rêve éveillé qui permet de passer du réel prosaïque à une réalité surnaturelle. Des textes comme Le roi des Aulnes, Marguerite au rouet de Goethe sont des rêves éveillés
 

Gretchen am Spinnrad

Meine ruh ist hin
Mein herz ist schwer
Ich finde sie nimmer
Und nimmermehr

Wo ich inh nicht hab
Ist mir das grab
Die ganze welt
Ist mir vergallt 

Mein armer kopf
Ist mir verruckt
Mein armer sinn
It mir zerstuckt

Meine ruh ist hin
Mein herz ist schwer
Ich finde sie nimmer
Und nimmermehr


Nach ihm nur schau ich
Zum fenster hinaus
Nach ihn nur geh ich
Aus dem haus

Sein hoher gang
Sein' edle gestalt
Seines mundes lacheln
Seiner augen gewalt

Und seiner rede
Zauberfluss
Sein handedruck
Und ach, sein kuss !


Meine ruh ist hin
Mein herz ist schwer
Ich finde sie nimmer
Und nimmermehr


Mein busen drangt
Sich nach ihm hin
Ach durft ich fassen
Und halten ihn

Und kussen ihn
So wie ich wolt
An seinen kussen
Vergehen sollt !


Meine ruh ist hin
Mein herz ist schwer

Marguerite au Rouet

Le repos m'a fui
Mon coeur est lourd
Je ne le retrouverai plus
Jamais plus

Lorsqu'il n'est pas auprès de moi
Le monde entier
Me semble une tombe
Et me paraît empoisonné

Ma pauvre tête
S'égare
Mon pauvre esprit
Se brise

Le repos m'a fui
Mon coeur est lourd
Je ne le retrouverai plus
Jamais plus


Pour lui seul je regarde
A la fenêtre
Pour lui seul je sors
De la maison

Sa fière allure
Son noble maintien
Sa bouche souriante
Le charme de ses yeux

Et ses paroles
Qui m'ensorcellent
La caresse de sa main
Et Ah ! son baiser


Le repos m'a fui
Mon coeur est lourd
Je ne le retrouverai plus
Jamais plus


Mon coeur soupire
Après lui
Ah ! que ne puis-je
Le saisir et le retenir,

Et l'embrasser
Autant que je le voudrais
Sous ses baisers
Même si je devais mourir !


Le repos m'a fui
Mon coeur est lourd

Remarque : une délicate esquisse de Ary Scheffer au Musée des Beaux Arts de Caen manifeste avec évidence Marguerite rêvant éveillée.

  • "Le génie existe dans les moments où la toute puissance de la nature inconsciente, où les profondeurs nocturnes et inaccessibles de l'existence sont dévoilées et révélées à l'état de veille. L'inspiration unit la plénitude de la vie et la clarté du jour, le mystère de l'inconscient et la règle de la conscience." (Steffens) cité par Albert Béguin op. cit.p.105

  • « Que sert de parcourir péniblement le trouble monde des choses visibles? Un monde plus pur est en nous, au fond de cette source. Ici se manifeste le véritable sens de l'immense, multicolore et complexe spectacle, et si, les yeux encore pleins de ce même spectacle, nous pénétrons dans la Nature, tout nous y paraît familier et nous reconnaissons chaque objet. » (Novalis : Les disciples à Saïs) cité in La forme poétique du monde pp.44-5
  • "Clos ton oeil physique afin de voir d'abord ton tableau avec l'oeil de l'esprit. Ensuite, fais monter au jour ce que tu as vu dans ta nuit, afin que son action s'exerce en retour sur d'autres êtres, de l'extérieur vers l'intérieur." Friedrich 1830 cité in La forme poétique du monde p.169

« L'art est le moyen d'expression de l'infini. » Schleiermacher (Discours sur la religion)

Les oeuvres d'art sont envisagées par les romantiques comme ayant pour finalité d'exprimer l'infini qui habite le fini. Par suite, par  essence elles sont symboliques, au sens où un signifiant symbolique donne accès mais de façon non transparente au signifié à la nature duquel il participe. C'est le fait d'être tous deux symboliques au sens fort du terme qui unit la nature et l'art, ces deux langages merveilleux rapprochés par Wackenroder.


Le paysage en peinture ou l'accès à l'infini

  • C'est parce que le paysage exprime le passage du fini à l'infini, ouvre l'homme à l'univers que, les hiérarchies antérieures étant bouleversées, il est promu par les peintres romantiques au rang le plus élevé des sujets.
  • Chez Caspar David Friedrich « le paysage n'est jamais une unité refermée sur elle-même, mais comme une allusion à d'immenses espaces au delà de ceux qui sont saisis par le peintre. Souvent, un promeneur solitaire, dont on aperçoit rarement le visage, mais dont toute l'attitude pensive et pieuse, indique vers quels horizons la méditation humaine peut être entraînée à la vue de ces ciels, de ces arbres et de ces océans.(...) Ses paysages imposent une fuite de l'esprit au delà de ce que voient les yeux. » Albert Béguin op cit p 168

 

fried moine bord mer

 

Moine devant la mer 1809 110 x 172 cm Nationalgalerie, Berlin

« L'infini seul est l'objet de la musique » (ETA Hoffmann)

  • Dans une page célèbre où Hoffmann rend compte, à sa création, de la cinquième symphonie de Beethoven, c'est par l'infini qu'il caractérise l'art romantique et la musique romantique :

« La musique est le plus romantique de tous les arts, on pourrait presque dire le seul art véritablement romantique; car l’infini seul est son objet.(...)

 

Mozart et Haydn sont les premiers à nous montrer l'art dans toute sa gloire; mais celui qui l'y contempla avec amour, et pénétra dans ses profondeurs dernières c’est Beethoven !

Dans [la musique] de Haydn

Haydn symphonie 87 premier mouvement dirigé par Antal Dorati (début écouté lors de la conférence)

ce qui domine, c'est l'expression de la sérénité enfantine. Ses symphonies nous conduisent en une plaine couverte, à perte de vue, de frais bocages, peuplée d'une foule joyeuse et bigarrée d'êtres heureux. C'est une vie toute d'amour, toute de félicité, comme avant la chute, dans une jeunesse éternelle. Point de souffrance, point de douleur.


C'est aux abîmes du royaume. mystérieux que nous mène Mozart

Mozart symphonie n° 39 1er mouvement dirigé par K Bohm (début)

La crainte nous saisit mais une crainte sans tortures qui est plutôt le pressentiment de l'infini. L'amour et la mélancolie chantent dans les voix gracieuses des esprits ; la nuit s’envole dans un embrasement pourpre ; obéissant à un appel ineffable, nous nous élançons vers les apparitions qui flottent dans les nuages à travers l'éternelle ronde des sphères et, par des signes amicaux nous invitent à les rejoindre. (Voir la Symphonie en mi bémol majeur, connue sous le nom de Chant du cygne.)

 


La musique de Beethoven fait jouer les ressorts de la peur, de l'effroi, de la terreur de la souffrance, et éveille précisément cette aspiration infinie qui est l’essence du romantisme.  Des rayons éclatants traversent la profonde nuit de ce royaume; des ombres gigantesques volent, vont et viennent, nous serrent de plus en plus étroitement, et nous anéantissent. Au sein de cette souffrance, qui absorbe en soi, sans les détruire, amour, espérance et joie, nous pensons éclater, sous l'accord de toutes les voix des passions —mais nous continuons a vivre, visionnaires extasiés.

Parmi les œuvres instrumentales de Beethoven, il n'en est point, peut-être, qui confirme mieux tout ceci que la Symphonie en ut mineur

Beethoven symphonie n°5 1er mouvement dirigé par L Bernstein (début écouté lors de la conférence)

en son incomparable magnificence et sa profonde signification. Cette merveilleuse composition entraîne l'auditeur dans les espaces infinis, en une ascension de plus en plus rapide et irrésistible! »

Extrait de E.T.A. Hoffmann La musique instrumentale de Beethoven in  Romantiques Allemands I (Pléïade)

  • Pour moi Hoffmann ici romantise la musique de Mozart, Haydn et Beethoven, tout comme Schlegel a romantisé les édifices gothiques (cf introduction)

Conclusion : Romantiser le monde !

Acquis relatifs à l'expérience romantique du monde

Au terme de cette enquête sur l'expérience romantique de la nature il convient d'y distinguer

  • des éléments évidents tels l'immersion de l'homme dans la nature, en particulier au clair de lune, la recherche de situations sublimes...
  • des éléments certains mais non prouvables universellement  : expériences de fusion mystique, d'intuition de l'Absolu, de dépassement de la conscience...
  • des éléments interprétatifs : tout est organisme, le réel est la résultante dialectique de contraires, il existe une parenté analogique entre la nature et la vie psychique humaine, la nature est une expression de l'Absolu...

Par delà cet inventaire, l'élément capital qui caractérise l'expérience romantique du monde c'est l'affirmation du rôle essentiel que l'esprit, l'activité du sujet y joue : les créateurs romantiques ajoutent au monde, enrichissent le monde par ce qu'ils sont dirons nous, en paraphrasant des formules par lesquelles Nietzsche caractérise les créateurs dans le Gai Savoir. En d'autres termes ce qui est certain c'est qu'ils mettent de l'infini dans le fini.

« Quand je donne aux choses communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à ce qui est connu la dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d'infini : je les romantise »

Novalis (fragment de 1798)

Romantiser le monde exprime une conception de l'art et du commentaire sur l'art

Si nous acceptons cette définition du romantisme par l'acte de romantiser, prenons conscience qu'elle ne vaut pas que pour les artistes romantiques mais qu'elle s'avère pertinente pour qualifier la transmutation que la poésie d'un Baudelaire procure à une chambre, une chevelure, de bons chiens..., celle qu'opère la prose d'un Proust pour le monde social, naturel ou artistique auquel il s'intéresse ainsi que celle qu'un Messiaen réalise pour le chant des oiseaux...

Par ailleurs Hoffmann romantise Mozart, Haydn et Beethoven disions nous, les deux premiers en tout cas n'étant pas romantiques au sens historique du terme! Schlegel tout comme Hegel dans ses leçons d'esthétique romantisent l'édifice gothique qui n'est pas romantique au sens reçu du mot. Olivier Schefer commentant le Retable de Tretschen de Friedrich, le romantise. Lorsque dans le portrait d'un paysan de Cézanne, je lis une représentation exceptionnelle du père qui accueille, donne confiance et écoute et par là-même une représentation plus adéquate de Dieu le père que les tableaux le représentant habituellement, je le romantise exprimant par là une conception du commentaire d'oeuvres d'art.

Paul Cézanne Portrait d'un paysan (MuséeThyssen Madrid)

cezanne

Un des sens possible de la condition humaine c'est de ne pas en rester à ce que les choses sont mais de les transfigurer, de transmuter ce qui est par la puissance de l'esprit comme le formule Nietzsche dans le Gai Savoir.

Paraphrasant une formule de A.W. Schlegel donnant Shakespeare (source du romantisme) comme référence dans ses Leçons sur l'art et la littérature dramatique 1808 (cf La forme poétique du monde p.465) je dirai « Quel vaste champ offert à ceux qui, comme Hoffmann, Schlegel, Novalis, sauront romantiser c'est à dire saisir les aspects poétiques, du monde naturel et historique ainsi que des oeuvres d'art», l'acte de romantiser ramassant ma conception de l'art et du commentaire sur l'art.

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SOURCESINDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES


La forme poétique du monde de Charles Le Blanc, Laurent Margantin, Olivier Schefer (éditions José Corti 2003)L'âme romantique et le rêve d'Albert Béguin José Corti 1937/2006Les romantiques allemands coordonné par Armel Guerne DDB 1956Le romantisme allemand coordonné par A Béguin et alii Cahiers du Sud 1937Romantiques allemands I sous la direction de Maxime Alexandre Gallimard (Pléïade) 1963/1993La musique dans l'Allemagne romantique de Brigitte François-Sappey Fayard 2009Le romantisme de Jean Clay Hachette Réalités 1980Caspar David Friedrich et la peinture romantique de Charles Sala Terrail 1993...

SITES INTERNET


Web Gallery of Art (pour les tableaux)The Lied and Art song texts page (pour les textes des lieder)

YouTube (pour les illustrations musicales)

...