1- Description de l'ouvrage
Le 21 avril 2010 sort en librairie, sous la plume de Michel Onfray, un nouveau brûlot contre Freud : Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne. Publié chez Grasset et composé de cinq parties, l'ouvrage est dénué de sources et de notes bibliographiques. Il est truffé d'erreurs et traversé de rumeurs. L'auteur projette sur l'objet haï ses propres obsessions - les Juifs, le sexe pervers, les complots - au point de faire de Freud un double inverti de lui-même, et de la psychanalyse l'expression d'une autobiographie de son fondateur transformé en criminel affabulateur. Face à cet alter-ego, rejeté en enfer, l'auteur se veut un libérateur venant sauver le peuple français de sa croyance en une idole dont il annonce le crépuscule.
Onfray cite l'ouvrage de Henri Ellenberger, Histoire de la découverte de l'inconscient paru en 1970 (en anglais) et traduit pour la première fois en français en 1974 et réédité en 1994. Il souligne qu'il s'agit là de la première grande révision de l'histoire officielle de Freud, ce qui est inexact puisqu'il oublie l'oeuvre d'Ola Andersson (Freud avant Freud. La préhistoire de la psychanalyse (1962), Les empêcheurs de penser en rond, 1997), antérieure à celle d'Ellenberger. En outre, comme il date la parution du livre d'Ellenberger de 1991, il fait donc débuter l'historiographie savante avec vingt ans de retard, tout en soulignant qu'elle est encore occultée aujourd'hui, alors même qu'elle est en pleine expansion et que les archives de la LOc, après les grandes batailles des années 1990, sont en train d'être déclassifiées selon les règles en vigueur. Onfray se trompe également sur la date de parution du livre de Frank Sulloway, Freud biologiste de l'esprit, publié en anglais en 1978 et deux fois édité en français (1981 et 1998, Fayard.) Il croit donc qu'aucun travail non hagiographique n'existe à ce jour sur Freud, ce qui lui permet de se présenter comme le premier auteur à redresser des légendes dorées, déjà invalidées depuis trente ans. Il ne fait d'ailleurs aucune différence entre histoire pieuse, histoire officielle, pensée irrationnelle, historiographie fondée sur des légendes noires et des rumeurs (courant dit «révisionniste» ou, en anglais, «destructeur de Freud») et histoire savante. D'où un manichéisme absolu : d'un côté les «bons» anti-freudiens, de l'autre, les «mauvais» adeptes d'une affabulation.
Ignorant les travaux américains et ne connaissant Freud que par ce qu'il en a lu en français, Onfray se trompe également sur la date de parution de la correspondance non expurgée de Freud avec le médecin berlinois Wilhelm Fliess essentielle pour décrypter les modalités de l'invention de la psychanalyse et les hésitations et errances du premier Freud. Celle-ci est pourtant disponible en anglais, allemand, portugais, espagnol depuis 1986. Elle a été traduite pour la première fois en français en 2006, soit vingt ans plus tard, ce qui fait croire à Onfray qu'elle a été occultée jusqu'à nos jours.
Contrairement à ses nouveaux amis qui ont réussi, comme il le raconte lui-même (Crépuscule, p. 585), à le convertir à la vraie vérité - celle de la conspiration des freudiens contre la société occidentale -, Onfray ne s'attaque qu'à Freud, laissant entendre que plus tard, dans un autre volume, il s'occupera de ses héritiers.