I - De la chose au mot, du mot à la chose
L’autorité ou le mystère du pouvoir sans contrainte
On dit qu’il y a autorité quand un individu fait, sans contrainte et sans discussion, ce qu’un autre lui commande/ordonne
de faire
« Pourquoi obéissons-nous ?
La question ne se posait guère ; nous avions pris l’habitude d’écouter nos parents et nos maîtres. Toutefois
nous sentions bien que c’était parce qu’ils étaient nos parents, nos maîtres. Donc à nos yeux leur autorité leur venait moins d’eux-mêmes que de leur situation par rapport à nous. Ils occupaient une certaine place ; c’est de là que partait, avec une force de pénétration qu ’il n’aurait pas eu s’il avait été lancé d’ailleurs, le commandement.
En d’autres termes, parents et maîtres semblaient agir par délégation. Nous ne nous en rendions pas compte, mais derrière nos parents et nos maîtres, nous devinions quelque chose d’énorme ou plutôt d’indéfini, qui pesait sur nous de toute sa masse par leur intermédiaire» H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion 1931
Quel est donc "ce quelque chose d'énorme et d'indéfini" dont découle l'autorité?
L’autorité, une puissance augmentée
Etymologie : auctoritas se rapporte à auctor, qui signifie, fondateur, auteur, instigateur. Le terme auctor se rapporte lui-même à la racine
augeo qui signifie augmente
L’étymologie du mot autorité indique clairement que celui qui exerce l’autorité est détenteur d’une puissance
(d’une capacité de produire des effets) qui excède ses forces propres. Il est donc investi d’un surcroît de force.
Son autorité est donc littéralement une puissance augmentée
L’autorité, une puissance mandatée
L’autorité ne s’exerce jamais en nom propre ; elle s’exerce toujours « au nom de »
Celui qui exerce l’autorité le fait par un mandat. Celui qui exerce l’autorité commande
L’autorité est une puissance mandatée
Remarque : il n’y a jamais d’autorité en nom propre
L’autorité, un pouvoir au nom de la Loi
La Loi en majuscule désigne ce qui nous précède, nous dépasse et nous englobe
1 – La Loi de la Nature (physis) = autorité cosmologique
2 – La Loi des Ancêtres = autorité traditionnelle
3 – La Loi de Dieu = autorité théologique
L’autorité, un phénomène à trois dimensions
1 – Un individu qui donne un ordre ou qui formule un rappel à l’ordre
2 – Un individu qui reçoit l’ordre (qui entend le rappel à l’ordre) et qui obéit
3 – Un ordre qui s’exprime sous la forme d’une parole
L’autorité, un phénomène social en clef de don
Donner (recevoir)
Aussi surprenant que cela puisse paraître, dans le phénomène d’autorité, l’ordre n’est pas imposé, il est donné et celui qui obéit
n’est pas soumis, il reçoit. L’autorité est donc à penser dans une logique du don et non de la contrainte
L’autorité relève donc de ce type particulier d’échange social que M. Mauss appelle le don (Triple obligation de donner,
recevoir et rendre)
L’autorité, une parole qui suscite l’obéissance
Obéir : du latin ob audiare qui désigne l’écoute consciente de la source émettrice (L’ordre doit être « reçu fort et clair »)
L’obéissance n’est pas une soumission passive, elle est au contraire un acte volontaire résultant d’une écoute attentive
« L’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté » H. Arendt (L’esclave n’obéit pas,
il est assujetti)
«Un peuple libre obéit, il ne sert pas » Rousseau, Lettres écrites de la montagne
L’autorité, une parole d’Ordre
Dans la relation d’Autorité, ce qui est donné et reçu, c’est un ordre
Qu’est-ce qu’un Ordre? C’est un ensemble défini (fini et circonscrit) fait d’éléments distincts, hiérarchiquement positionnés
les uns par rapport aux autres en vertu d’une règle (la Loi). L’ordre donné a donc littéralement pour finalité de mettre ou « remettre les choses et les
hommes à leurs places ».
La parole d’autorité a donc pour fonction de mettre ou de remettre les choses en ordre, d’empêcher le désordre. Ce que vise la parole d’autorité c’est à maintenir ou à rétablir l’Ordre
L’autorité, une parole parabolique
Une parole
Conformément à l’étymologie latine du mot (parabola = comparaison, similitude), la parole d’autorité s’exprime de la manière
la plus fondamentale
sous la forme de paraboles.
Dans les sociétés traditionnelles, ou primitives, le chef, celui qui exerce l’autorité, n’a pas de pouvoir (il ne peut contraindre
personne par la force),
sa seule puissance est celle de la parole qui s’exprime sous forme de paraboles (Cf. P. Clastres : philosophie de la chefferie indienne)
La parole du chef invite celui à qui elle s’adresse à mettre en rapport sa situation particulière avec la parabole de telle sorte que
celui qui écoute attentivement cette parole comprenne de lui-même ce qu’il a à faire. La parole du chef éclaire la situation particulière qui lui est
soumise du point de vue général de l’Ordre (de la Nature, des Anciens, de Dieu) Le chef raconte des histoires
Le chef, celui qui donne l'ordre sous la forme d'une parole qui est une parabole, est en ce sens un garant de l'ordre et un initiateur : il fait entrer dans le monde celui qui s'adresse à lui,en lui donnant la capacité d'agir dans le monde de sa propre initiative mais sans menacer l'Ordre des choses.
Synthèse
L’autorité désigne une relation de pouvoir sans contrainte et sans discussion. C’est une relation non-violente
L’autorité est un pouvoir augmenté c’est-à-dire un pouvoir qui s’exerce au nom de la Loi (de la Nature, des Ancêtres, de Dieu).
C’est un pouvoir mandaté(par délégation)
L’autorité est une relation de commandement (dans laquelle le pouvoir s’exerce par un mandat) et d’obéissance (d’écoute attentive).
C’est une relation interactive
L’autorité s’exerce au moyen d’une parole qui est une parole transitive (reçue, donnée, donnée pour être donnée = rendue de manière différée). C’est une parole liante
La parole d’autorité est une parole initiatrice = elle est le fait d’un initié (Quelqu'un qui a été accueilli dans un ordre) et elle a le pouvoir d’initier (de faire entrer dans un ordre/ de rendre capable d’initiative). C’est une parole augmentée qui augmente(Cf M. Revault d’Allonnes)
A quelle condition le phénomène d’Autorité peut-il se manifester à plein régime?
Quand les personnes prises dans la relation d’autorité sont enveloppées dans un sens commun partagé.
Qu’est-ce qui fait que le phénomène d’Autorité peine à se manifester?
C’est l’absence d’un tel sens commun partagé qui rend impossible la manifestation du phénomène d’autorité.
A quoi reconnait-on que l’Autorité fonctionne à plein régime?
Au fait que la question de l’Autorité ne se pose pas