LA CONJONCTION PROUST & RUYER
Swann a cent ans et « Ruyer est à l’agreg »
En cette année 2013 Swann a cent ans et « Ruyer est à l’agreg ». On célèbre le centenaire de Du côté de chez Swann, publié par Grasset le 8 novembre 1913, et le Néo-finalisme de Raymond Ruyer, paru aux PUF en 1952, qui vient d’être réédité dans la nouvelle collection « MétaphysiqueS » dirigée par Elie During, Patrice Maniglier, Quentin Meillassoux et David Rabouin, est au programme de l’agrégation 2014 en philosophie, ce qui signifie que dès la publication du programme Néo-finalisme est devenu pour les candidats au concours un de leurs livres de chevet. Jean-Paul et Raphaël Enthoven viennent de publier leur Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, co-édité par Plon et Grasset, tandis que la Société Normande de Philosophie a depuis longtempes invité Raphaël Enthoven à venir parler de Proust à Caen. A l’Université de Nanterre, le département de philosophie organise le 25 otobre une journée consacrée à l’explication de Néo-finalisme, où j’aurai le plaisir de faire une conférence, provisoirement intitulée « ‘Refaire le Timée’ : Que cache cette ‘zone d’indiscernabilité’ entre Albert Lautman et Raymond Ruyer ? ».
Y a-t-il, entre ces deux séries d’événements, le moindre rapport ? La réponse est oui. Dans Néo-finalisme, en effet, nous lisons :
Chérubin devient rapidement plus savant. Proust, à partir de l’impression vague et athmosphérique induite par le goût de la madeleine, reconstruit l’édifice immense de ses souvenirs ; le tissu ectodermique, touché par la vésicule optique, construit rapidement, à partir d’un simple épaississement de l’épiblaste céphalique, un cristallin et une cornée.[1]
On le voit : il y a ici davantage qu’un simple « rapport » : un véritable dénominateur commun. Quand une philosophie est capable d’embrasser dans un même regard l’éducation sentimentale de Cherubino, la construction du cristallin et la genèse de la Recherche du Temps perdu (qui est aussi une Education sentimentale), c’est le signe que nous sommes dans un système capable des spéculations les plus audacieuses mais aussi les plus prometteuses. En tout cas cela suffit à démontrer que nos deux séries d’actualité ont une véritable connexion conceptuelle, que le roman proustien a une authentique pertinence philosophique et que, par conséquent, c’est tout naturellement que la Société Normande de Philosophie inclut, entre autres, parmi ses activités, la lecture intégrale de la Recherche du Temps perdu par Eliane Davy, qui va reprendre en terminant d’abord A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Comme le montre la vision de Ruyer, tout cela ne fait qu’exprimer sous les diverses formes appropriées ce qui est primordialement, dans son exubérance, la variété de la vie.
Jean-Claude Dumoncel