Introduction

Mots accompagnant les oeuvres : titres, programmes

Mots ayant inspiré des oeuvres musicales

Mots suscités par la musique : analyse musicale / musique et langage

Conclusions

 

DIRE CE QUE DIT LA MUSIQUE ?

(Abstract de la conférence faite à l'IUFM le 8 février 2008)

La conférence s'est articulée autour de 8 expériences que le public a pu/du faire grâce aux ressources de l'ordinateur relayé par un vidéoprojecteur et des enceintes : (ces expériences sont  insérées en couleur dans l'argument de la conférence)

 

Audition, avant toute prise de parole, du premier choral de la cantate BWV 12 de Bach avec projection simultanée sur grand écran du texte allemand chanté et de sa traduction ainsi que d'une analyse musicale simple de ces quelques minutes de musique vocale. Ceci donnant comme « en abyme » la conférence tout entière.

Introduction

Si l'intitulé implique que le conférencier considère davantage la musique comme expressive que comme pure forme, il ne s'est pas agi de se demander si la musique permet de « répandre les rayons de la divinité parmi le genre humain » (Beethoven), si elle dit « les sentiments originels, ce qui est le plus profond et le plus inexprimable » (Schoenberg) ou simplement « elle-même » (Alain). Partant des mots que l'on constate accompagner, avoir inspiré ou être suscités par les oeuvres musicales, il s'est demandé s'ils importent pour l'accès aux oeuvres, l'écoute et le plaisir des mélomanes.

Mots accompagnant les oeuvres : titres, programmes

Audition d'une pièce pour piano à l'auteur indiqué (Debussy) sans en donner le titre, pour susciter l'attitude cherchant à trouver le titre de ce qu'on écoute, et à partir de là réfléchir sur l'intérêt (et la méprise à éviter de l'impossible description en musique) du titre comme mots accompagnant une oeuvre musicale (prélude 6 : Des pas sur la neige).

 

S' « il faut un titre »(C. Lévi Strauss), celui-ci ne doit pas donner à penser que l'oeuvre musicale puisse être descriptive. C'est « l'objet comme principe d'un monde et non comme objet dans le monde » qu'elle donne (M. Dufrenne). Le titre permet d'orienter la réceptivité et l'attention du mélomane. Donner untitre à des oeuvres qui en sont dépourvues, ou les caractériser par une proposition, et par délà s'efforcer de caractériser en quelques mots le monde de chaque compositeur, comme l'a fait Hoffmann pour Mozart, Haydn et Beethoven, voilà une première tâche où mettre les mots au service des mélomanes.  Projection des quelques lignes par lesquelles ETA Hoffmann caractérise (dans les Kreisleriana : La musique instrumentale de Beethoven)les mondes de la musique de Haydn et de celle de Mozart, avec illustration musicale pour l'une et pour l'autre

 

Projection de l'argument narratif rédigé pour l'occasion de la ballade médiévale Edward avant l'audition du début de la ballade n°1 de l'opus 10 de Brahms pour piano.

Certains compositeurs ont accompagné à l'intention des auditeurs leurs oeuvres d'un texte narratif, baptisé programme. Si certains les assument (comme Berlioz), d'autres les ont remis en question (comme Mahler). La réflexion sur Wagner écrivant un programme pour faciliter l'accès du public à la 9è de Beethoven, le détour par ce que peut apporter au regard et à la compréhension d'un tableau la narration de ce qu'il représente (D. Arasse / Vénus et Mars surpris par Vulcain), Projection du tableau du Titien Vénus et Mars surpris par Vulcain commenté par Daniel Arasse, pour montrer l'intérêt et la limite d'un texte narratif dans l'accès à une oeuvre d'art.  permettent d'expliciter le statut à accorder aux textes narratifs en musique : ne pouvant traduire ni exprimer l'oeuvre musicale, ils peuvent être une aide préalable précieuse pour mieux l'écouter et avoir accès à son monde. Ne conviendrait-il pas d'inventer des « programmes » pour toutes les oeuvres auxquelles les oreilles des mélomanes ne sont pas faites?

 Projection d'un programme de 4 lignes rédigé pour l'occasion suivi de l'audition du début d'Ameriques de Varèse, pour faire expérimenter l'intérêt des programmes pour faciliter l'accès à une oeuvre que l'on ne connaît pas et à laquelle notre oreille n'est guère formée.

 

Mots ayant inspiré des oeuvres musicales

La connaissance du sous-titre (Edward) de la ballade n°1 de l'opus 10 de Brahms ainsi que de la narration dramatique à laquelle il renvoie, manifeste le profit qu'en peut tirer le mélomane, à condition de ne pas vouloir faire coller la structure de l'oeuvre de Brahms aux 7 strophes de la ballade médiévale écossaise. Par là est introduite la question de l'intérêt de connaître ou pas le texte dont s'inspirent de nombreuses oeuvres en musique vocale en particulier. Son traitement, faute de temps, a été remis à une autre fois.

Mots suscités par la musique : analyse musicale / musique et langage

La question des textes suscités par la musique implique, pour que le mélomane puisse en faire son miel, le dépassement d'un double obstacle : celui d'une trop grande subjectivité et celui d'une trop grande technicité.

 

Ecoute de chacun des trois moments de la Ballade n°1 de Brahms avec projection simultanée d'une analyse musicale élémentaire pour saisir que la musique est composée de phrases, de variations d'intensité, d'ambitus, de tempo, de modes relativement faciles à identifier et percevoir...

Une analyse musicale au service d'un public non professionnel gagnerait à éduquer les oreilles et les esprits à ce qui est le plus évident en musique, à commencer par la présence dans toute oeuvre de phrases. Les identifier, ainsi que leurs retours et transformations, donne un premier accès à l'unité de l'oeuvre. Aussi évidentes ou presque sont les variations d'intensité, de tempo, la coloration majeure ou mineure, celle des timbres, ces approches permettant d'identifier les tensions, leur(s) sommet(s) et leurs issues. Si le propos est illustré sonorement comme dans un concert-lecture ou comme l'ordinateur le permet, l'écoute et l'accès à l'oeuvre en sont rapidement transformés.

 

Prendre au sérieux la temporalité qui fait de toute oeuvre musicale la mimèsis de la condition humaine (M.Ribon) conduit avec profit à envisager chacune comme un drame où tensions, détentes... s'inscrivent au sein d'une unité.

 

La musique est-elle alors dépourvue de mots comme Levi Strauss à la suite des linguistes l'affirme? Certes la constitution d'un dictionnaire des mots musicaux et de leur signification est un projet vain. Mais dans un cadre donné (par exemple celui de la musique tonale à telle ou telle époque), n'y a-t-il pas des figures, de courts enchaînements (une descente de chaconne par exemple) qui expriment un contenu déterminé (une plainte)?  Ecoute des trois moments du Lamento della ninfa de Monteverdi avec projection simultanée d'une analyse musicale élémentaire pour faire percevoir que l'hypothèse de « mots » ou figures dont la signification n'est pas arbitraire ou « signes intrinsèquement expressifs » (B de Schloezer), est à explorer en musique. C'est la notion de signes intrinsèquement expressifs construite par B. de Schloezer, laquelle permet de différencier ce qui chez Bach est signifiant de ce qui ne l'est pas (3=trinité et autres élucubrations numérologiques!; sol la fa sol=la croix et autres figurations faussement symboliques!).

Le rapprochement avec la tentative par Kandinsky d'énoncer ce qu'expriment les couleurs et formes élémentaires et les correspondances qu'il établit entre couleurs et timbres instrumentaux donnent de l'épaisseur à cette quête.

La conception hégelienne de l'art comme forme sensible présentant ce qu'il nomme l'Idée, sa définition du symbole comme signifiant lié de façon non arbitraire à un signifié visé et non épuisable ouvrent un immense champ à cette énonciation de moyens expressifs spécifiques à la musique, non établis une fois pour toutes mais variables historiquement et selon le cadre de référence.

 

Conclusions

     A condition que

 

  •  les mots relatifs à la musique soient le plus souvent possible accompagnés par l'audition de celle-ci (ce que l'ordinateur rend possible comme cette conférence a visé à en faire faire l'expérience à l'auditoire);

 

  •  à condition que les mots relatifs à la musique ne soient pas envisagés comme la traduction de ce qu'est la musique mais comme aide pouvant faciliter l'accès à celle-ci sans jamais en épuiser le contenu;

 

  • à condition qu'ils soient utilisés pour améliorer l'écoute et l'expérience de ceux qui aiment la musique;

 

  • les mots sont les bienvenus en amont et en aval du royaume de la musique, que ce soit sous la forme

 

  •       de titres,
  •       de caractérisations brèves,
  •        de discours narratifs ou programmes,
  •       d'analyses musicales mettant en évidence les composantes du langage musical.

 

    Telle est ma thèse, mon espoir étant d'avoir fait partager à mon auditoire cette perspective par delà celle de l'intérêt qu'il y a à apprivoiser l'ordinateur pour le mettre au service la musique.