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Invitation à la lecture philosophique

 

 

 atlanrectoCROYANCES : comment expliquer le monde ; certaines croyances sont-elles plus vraies que d’autres ?


Par Henri Atlan, médecin biologiste et philosophe. Enseigne à l’Ecole des hautes études (EHESS) et fut membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en France.


Editions Autrement. Septembre 2014.

 

 

 

 

Choisissons-nous nos croyances ? Sont-elles individuelles, vraiment les nôtres, ou bien sont-elles plus ou moins collectivement partagées et induites en nous par mimétisme ? Quels en sont les ressorts ? La raison, les affects ou un mélange des deux ? Sont-ils les mêmes pour toutes sortes de croyances ?

 

 

Et comment savons-nous, ou croyons-nous, que ce que nous croyons est vrai ? Quels rapports entre croyance et vérité ? Certaines croyances sont-elles plus « vraies » que d’autres ? et sur quels critères ?

 

 

Comment croire en la réalité, ou la vérité, de ce que l’on croit, s’il existe plusieurs réalités à l’origine de croyances exclusives les unes des autres ?

 

 

Répondre à ces questions est l’objet du livre, dont quelques aperçus sont repris ci-après.

 

 

A noter que la lecture est accessible pour un lecteur motivé : les références philosophiques (Aristote, Maïmonide, Spinoza, Kant, William James, Wittgenstein, notamment ; les références scientifiques (neurosciences, sciences physiques, ethnologie) ainsi que les problématiques corps/esprit, causes finales avec le darwinisme, sont explicitées avec clarté.

 

 

 

L’auteur écarte, d’emblée, le scepticisme ou le relativisme postmoderniste : la vérité n’existe pas ou n’est pas accessible, toutes les croyances se valent, aucun système philosophique, métaphysique, idéologique ou religieux n’est meilleur qu’un autre, la science est soumise aux aléas ou rapports de force de constructions sociales.

Atlan refuse aussi tout dogmatisme et choisit la voie de la raison d’une part et la recherche du respect des croyances d’autrui, d’autre part.

 

Introduction

 

 Plusieurs réalités ?

  1. Chacun a l’expérience de ses rêves nocturnes et de la confusion possible entre la « réalité » des images du rêve et de la perception, au réveil, de la « réalité ». Quand nous croyons être éveillés, qui nous assure que nous ne rêvons pas ? Plus généralement Atlan fait état des « états modifiés de conscience » induits par les expériences psychédélique, hallucinatoire, surréaliste, shamanique ou mystique, notamment sous l’effet des psychotropes.
  2. La terre est-elle plate ou ronde ? La physique quantique, la théorie de la relativité décrivent  la « réalité », avec des outils mathématiques sophistiqués, qu’aucune intuition sensible ne vient illustrer (détection statistique des particules, relation espace/temps) ; seules des applications concrètes viennent corroborer les théories sous-jacentes (IRM, guidage des fusées, par exemple)

Croyance, savoir, certitude

 

C’est l’abandon de l’animisme, qui consiste à penser que la nature (les animaux, les événements naturels) a des intentions, qui a permis la science.

La croyance est que les interprétations impersonnelles des sciences de la nature sont « supérieures » aux explications animistes et à celles qui relèvent du caractère intentionnel ou subjectif des agents.

L’avantage de l’animisme est d’effacer la frontière entre l’humain et le non humain. A l’opposé l’inconvénient de cette frontière dans les sciences  est que la séparation corps/esprit est difficile à combler. C’est tout l’effort des sciences cognitives de relier états du cerveau/états mentaux mais au prix d’une « naturalisation » de l’esprit. Aux monismes classiques (tout est réductible à la matière, tout procède de l’esprit, l’esprit émerge de la nature ou la matière n’existe que telle qu’elle est conçue par l’esprit pensant et connaissant), Atlan  préfère  la philosophie spinoziste. Laquelle postule une union psycho-physique d’une même réalité décrite de deux façons différentes qui lui parait  plus satisfaisante pour un esprit rationnel.

Quoi qu’il en soit, la croyance en la rationalité du réel, qui sous-tend la démarche scientifique, n’est elle-même, ni rationnelle ni irrationnelle. Il n’y a pas de fondement externe de la vérité d’une idée : la vérité ne peut avoir de signe qu’elle-même, avec l’évidence. [Spinoza : « la vérité est le signe d’elle-même »- index sui-].

Atlan suppose un sens universel de l’évidence (exemple des mathématiques, dont les évidences sont communes à l’espèce humaine).

 

 Des croyances scientifiques « éphémères »

 

 

Les principes fondamentaux des sciences évoluent ! De la terre comme centre du monde (et le système de Ptolémée avait un pouvoir prédictif certain) aux principes de la relativité, la science évolue par remise en cause. En biologie moderne, par exemple, il n’y a plus d’explication par les causes finales (les yeux sont faits pour voir : c’est la finalité qui crée l’organe œil) mais une finalité mécanique non-intentionnelle (l’idée darwinienne de sélection naturelle des espèces les plus adaptées n’échappe à l’interprétation des causes finales qu’en soulignant la différence entre « sélection par » et « sélection pour »).

C’est la meilleure valeur prédictive d’un paradigme par rapport à un autre qui assoit sa validité.

 

Sur « le religieux » et «les religions»

 

Hors la croyance scientifique, c’est–à-dire la croyance en la rationalité du réel, Atlan distingue :

  1. Croyances religieuses avec professions de foi comme condition d’appartenance –christianisme, islam, judaïsme en partie-,
  2. Croyances dans des mythes et des rites,
  3. Croyances en une autre réalité accessible par des états de conscience modifiés.

Ces croyances, pour opposées qu’elles sont en apparence, cohabitent, en chacun de nous, dans chaque société. Nous croyons avec le tout de la personne : pensée, imagination, affects, environnement naturel, social et culturel.

Le fondement commun à toutes ces expériences, c’est notre capacité à l’expérience du sacré, antérieur au religieux lui-même. Au même titre que l’évidence et le langage, c’est une caractéristique humaine fondamentale. Le sentiment océanique de Romain Rolland, la sensibilité esthétique (musique, en particulier), les extases mystiques en sont le témoignage. C’est l’élément mystique, dont parle Wittgenstein, lorsqu’on est confronté à l’indicible (ce dont on ne peut parler, il faut le taire).

 

Pour une éthique des croyances

 

Nos croyances sont en relation étroite avec nos pratiques de vie et nos décisions. Elles sont source de conflits.

 

C’est pourquoi, Atlan propose une gestion des croyances articulée de la façon suivante :

  1. ignorer les différences théoriques pour s’en tenir aux convergences pratiques
  2. Appliquer le principe de charité, défendu par Donald Davidson –philosophe et linguiste-, c’est-à-dire ne pas considérer les croyances auxquelles on n’adhère pas comme absurdes mais effectuer un chemin de compréhension vers l’autre.
  3. Appliquer le raisonnement de Spinoza qui consiste à dire que les divergences entre les hommes peuvent être résolues en se mettant d’accord  sur le sens des mots et sur la nature des raisonnements.

Programme à suivre, assurément.