« Je suis venu pour accomplir non pour abolir»
Le socialisme de Jean Jaurès
Jean Jaurès est à la principale figure tutélaire du socialisme français. Mais l’aura qui entoure le nom de celui qui fut « la première victime de la première guerre mondiale» brille à ce point qu’elle rayonne désormais sur tout le spectre politique français au-delà du cercle socialiste. Les « leaders » politiques de l’extrême gauche à l’extrême droite n’hésitent pas à intégrer dans leurs discours des références explicites à Jaurès et à se placer ainsi sous son autorité morale. Et il leur est d’autant plus facile de le faire que Jaurès a parlé et écrit sur tous les thèmes qui traversent le débat politique français contemporain : la République, la nation, la laïcité, l’école, l’Etat, la démocratie, le capitalisme… Et comme il avait une écriture limpide et une parole percutante, il n’est pas difficile, sur chacun de ces thèmes, de trouver dans l’œuvre du philosophe-tribun des formules qui claquent comme des slogans.
D’aucuns se réjouiront de cet usage transpartisan voire œcuménique qui est fait de Jaurès. Pour ma part, je le déplore car cela témoigne que la connaissance de la pensée politique du philosophe Jaurès a connu une trajectoire inverse à celle de l’héroïsation de l’homme Jaurès. Bref, tout semble s’être passé comme si sa « panthéonisation » avait été en réalité l’enterrement de sa pensée. Or, avant d’être un acteur de la vie politique française, Jaurès était - et il l’est resté jusqu’à son dernier souffle - un philosophe. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il n’était pas un pragmatique, comme il est de bon ton de le revendiquer aujourd’hui. Non, c’était un idéologue c’est-à-dire un homme qui n’agissait pas au coup par coup en fonction des intérêts du moment mais que son action prenait sens sur fond d’une conception du monde à la fois précise, ordonnée et cohérente susceptible d’éclairer le passé, le présent et l’avenir de l’humanité. Bref, toute son action, même si elle n’ignorait rien de la contingence du réel, était de part en part orientée par une philosophie politique systématique, un Idéal, qui lui donnait sens. Or c’est cet Idéal, ce système, qui me semble avoir été perdu de vue. Et d’ailleurs, à l’occasion du centenaire de son assassinat en 2014 c’est encore l’homme qui a été abondamment célébré. De nouvelles biographies et monographies historiques sont parues qui permettent d’éclairer son parcours d’ensemble ou tel aspect particulier de sa vie ou de son œuvre. Mais, à ma connaissance, aucun ouvrage n’a été consacré à la philosophie politique de Jaurès. Pourtant c’est en réalité le plus précieux héritage qu’il nous ait laissé car c’est le flambeau qu’il voulait nous transmettre – parce qu’il l’avait lui-même reçu - pour que nous puissions « rallumer tous les soleils ».
C’est donc à la découverte ou à la redécouverte du socialisme de Jaurès que je vous convie à l’occasion de cette conférence au cours de laquelle je m’attacherai à clarifier les concepts de sa philosophie politique et à montrer comment ils font système. Je vous invite donc à une ballade intellectuelle en forme de boucle qui nous ramènera à cette formule de Jaurès qui aura été notre point de départ : « Le socialisme est l’individualisme logique et complet. Il continue en l’agrandissant l’individualisme révolutionnaire »
Emmanuel Jardin, avril 2016