Morale et liberté : La liste de Schindler de  Spielberg

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Champion du box office, maître du divertissement (comme en témoigne le tout récent Tintin et le secret de la licorne), Steven Spielberg a eu une reconnaissance critique inversement proportionnelle à son succès populaire. Pendant longtemps, il fut accusé d'infantiliser le public, de faire régresser le cinéma en deçà des films américains modernes et intellectuels des années 70, d'annihiler toute conscience esthétique sous un déluge de sons et d'images. Il fallut attendre son premier film "sérieux", La Couleur pourpre (1986), pour que Spielberg reçoive un minimum de considération critique, même si l'incompréhension de son art a perduré encore longtemps après. D'ailleurs la distinction film "de divertissement"/film "sérieux" n'a pas grand sens chez Spielberg, tant il passe aisément de l'un à l'autre. Faut-il rappeler que c'est la même année (1993) que Spielberg a réalisé Jurassic Park (un film de dinosaures rempli d'effets spéciaux) et La Liste de Schindler (un drame historique avec la Shoah comme obsédante toile de fond), montant le soir le premier et tournant dans la journée le second ? Quel que soit le genre auquel il s'attelle, Spielberg, comme tout grand cinéaste, est un penseur, mais un penseur en images et en sons. Comme le dit Pierre Berthomieu : "Spielberg est le cinéaste absolu. Tout existe et se règle chez lui par la mise en scène" (Hollywood moderne, Le temps des voyants).

Si nous avons choisi La Liste de Schindler comme objet de cette conférence, ce n'est pas tant pour la gravité de son sujet que pour les enjeux philosophiques qui habitent ce film, comme tant d'autres films de ce cinéaste. La Liste de Schindler rapporte l'histoire authentique d'Oskar Schindler, un affairiste membre du parti nazi, qui sauva la vie de plus d'un millier de juifs. Or, achetant avec sa fortune chaque juif qu'il arrachait à l'extermination, Schindler devait choisir lesquels seraient sauvés et lesquels abandonnés à leur sort. Partant, c'est la question du choix, symbolisé par "la liste de Schindler", qui est au cœur même du film. Choix, c'est-à-dire liberté, à la fois dans son caractère absolu, et dans les limites que lui impose le réel. Mais la liberté, dans sa double dimension, s'exerce dans la confrontation avec deux pôles eux-mêmes opposés, l'humain et l'inhumain. Humanité des juifs, et de Schindler, inhumanité des nazis, et du génocide. Ces deux pôles mettent en jeu la reconnaissance ou la négation de la personne, ainsi que le rapport à l'Autre, dans l'esprit de la philosophie de Lévinas. Qu'implique la liberté, dans la souffrance du choix ? Comment renverser l'inhumanité et retrouver la personne humaine ? Quel rapport à l'Autre, et de là, à soi-même, peut alors s'instaurer ? Ce sont ces quelques questions qui traversent le film et que Spielberg, humaniste profondément pessimiste (malgré une idée communément reçue) traite, non avec des concepts, car il n'est pas philosophe, mais avec des images et des sons. Des extraits seront projetés pour illustrer et concrétiser le propos de cette conférence.

Pascal Couté