Romantisme et nature

 

« Tout est organisme » (Schelling)
  • La nature est un organisme animé, non plus une mécanique décomposable en ses éléments divers. Opposition au rationalisme cartésien et newtonien, à l'esprit des lumières (cf  A. Béguin L'âme romantique et le rêve p. 91)
  • Implications
  • Si tout est organisme, il existe des analogies entre les réalités naturelles et ce que vit l'homme, que l'artiste décrypte. « N'est-il pas étrange que nous ressentions si clairement toute notre vie comme une évidence lorsque nous voyons passer de lourds nuages épais devant la lune, ou quand nous voyons leurs bords dorés par la lune, ou encore la lune totalement disparaître derrière les nuages? Il nous semble alors évident que nous pouvons décrire toute l'histoire de notre vie avec de telles images; » écrit Phipip Otto Runge (cité dans La forme poétique du monde p.591)
  • Saisir ces analogies est un principe fondamental de l'approche romantique de la nature, une première figure de la romantisation de la nature. Ainsi c'est une image de ce qu'il vit que le marcheur du Voyage d'hiver lit dans par exemple le septième poème du cycle
Schubert Lied 7 du Voyage d'Hiver : Auf dem Flusse Thomas Quasthoff et Daniel Barenboïm

 

Auf dem Flusse

Der du so lustig rauschtest,

Du heller, wilder Fluß,

Wie still bist du geworden,

Gibst keinen Scheidegruß.

Mit harter, starrer Rinde

Hast du dich überdeckt,

Liegst kalt und unbeweglich

Im Sande ausgestreckt.

[...]

Mein Herz, in diesem Bache

Erkennst du nun dein Bild?

Ob's unter seiner Rinde

Wohl auch so reißend schwillt?

Sur la rivière

Toi qui bruissais si joyeux

Toi fleuve clair et impétueux,

Comme tu es devenu calme,

Sans aucun signe d'adieu.

D'une écorce dure et inflexible

Tu t'es entièrement recouvert,

Tu reposes froid et immobile

Étendu sur le sable. (...)

[...]

Mon coeur, dans ce ruisseau,

Reconnais-tu ton image?

Sous ton écorce impassible

Le bouillonnement est-il aussi violent?
   
 
 
  • Nouvelle approche de l'oeuvre d'art dans la critique esthétique comme un organisme, avec recherche de ce qui la constitue comme telle. 
Le galvanisme et sa signification : forces, contraires, fragments et dynamisme
 
  • Autre élément clé de la philosophie de la nature romantique
 
 
  • Ritter : volonté de démontrer expérimentalement l'unité essentielle des forces agissant dans la nature organique et inorganique. Opposition à la physique newtonienne. Intérêt aux polarités (pôles positif et négatif) et à l'énergie qu'elles suscitent. « Pour lui, le galvanisme [de Galvani ayant mis en évidence l'existence de l'électricité nerveuse chez les animaux] était un principe vital qui animait tous les êtres et toutes les choses, et qui permettait de penser le monde comme un immense réseau de forces. » La forme poétique du monde p.52 Galvanisme considéré comme principe explicatif du soulèvement des montagnes, du volcanisme, de l'apparition de la vie dans le foetus.
  • Novalis pense que l'énergie jaillie de pôles antagonistes est à la base des phénomènes de synthèse, construction, décomposition dans le vivant.
  • Rapprochement à faire avec la dialectique comme explication du réel naturel (philosophie de la nature), humain et historique : Hegel. Marqué par cette philosophie de la nature, Carus conçoit la peinture de paysage comme l'expression des forces de l'univers, et non comme une reproduction de formes inertes. (cf La forme poétique du Monde p.428) 
Tableau illustrant cette approche Blechen Scaffold dans l'orage 1833
 
blechen scaffold in storm 1833

 

Blechen Scaffold dans l'orage 1833

  • Autres implications : mise en rapport d'éléments opposés
  • « Nous sentons qu'une rigueur inflexible et une éternité féconde, d'un côté, et un tendre amour éternel et infini, de l'autre, s'opposent durement et dans une lutte acharnée, comme le dur et le mou, les rochers et l'eau. Nous rencontrons ces deux éléments en toutes choses, dans les plus petites comme dans les plus grandes, dans le tout comme dans le singulier : ces deux éléments ont été institués comme les êtres fondamentaux du monde et dans le monde, ils proviennent de Dieu, et seul Dieu les surpasse. Au début, ces éléments s'opposent fermement et avec violence en chaque chose créée par Dieu et fondée dans l'homme et dans la nature. Plus ce conflit est dur, et plus chaque chose s'éloigne de son accomplissement, plus les éléments se rassemblent, et plus elle s'approche de son accomplissement (..) Nous sentons en nous-mêmes cet échange éternel entre les choses, mais nous le sentons aussi dans le monde entier, en chaque chose inerte, et dans l'art. » P.O. Runge cité dans La forme poétique du Monde p.586
  • Illustration : le recours aux oppositions (dynamiques, rythmiques, de tessiture...) chez Beethoven 

 

Sonate La Tempête 1er mouvement par Sviatoslav Richter

Si dans la Tempête de Shakespeare on a l'opposition du bien et du mal via les personnages et l'intrigue, on y a surtout l'opposition entre le destin et la liberté, et la victoire de la liberté du personnage principal sur le destin. C'est cette opposition qui est à l'oeuvre dans la sonate de Beethoven, composée au moment où Beethoven sait que sa surdité est irréversible. (cf testament de Heiligenstadt).

  • Art et fragments
  • Le recours aux fragments chez les romantiques en littérature (Novalis, Hoffmann), en philosophie (Nietzsche) donne de l'importance aux interactions, aux possibles synthèses, aux rapprochements audacieux et imprévus  entre des éléments étrangers. Cf. La forme poétique du Monde p.50 
  • C'est dans cette perspective que doit être envisagée l'évolution des formes en musique, avec la succession de fragments brefs comme en particulier chez Schumann, avec le dynamisme qui en résulte

 

Illustration : Schumann Scène de la forêt n°2 (Le chasseur à l'affût) par Arcadi Volodos

 

  • Ainsi, la romantisation de la nature par le poète, l'artiste, consiste également (2ème visage) à manifester les polarités, les dualités dynamiques à l'oeuvre dans et entre les réalités et à les mettre en relation les unes avec les autres.

Nature et religion

  • Troisième caractéristique de de la philosophie de la nature romantique : la nature est vue comme un lieu où le sacré, précédemment réservé à la sphère religieuse se manifeste.
  • Illustration : la peinture de C.D. Friedrich

fried retable tetschen

C.D. Friedrich La Croix dans les montagnes (le retable de Tetschen) 1808
  • « Friedrich heurta fortement les sensibilités de son temps en proposant un paysage, en lieu et place d'un retable : le Retable de Tetschen (1807-8). Le Christ en croix y apparaît au sommet d'une colline, présenté de trois quarts. Il se confond presque avec les sapins, de sorte que la croix elle-même (sur le pied de laquelle pousse du lierre) devient un élément naturel au même titre que les arbres. La richesse symbolique de l'oeuvre de Friedrich tient ici, comme en bien d'autres endroits, à la double lecture qu'elle autorise : la scène religieuse se dissout dans la nature, tout en élevant celle-ci sur l'autel de la foi chrétienne. Les symboles religieux, présents dans l'oeuvre de Friedrich, sont la plupart du temps mêlés directement à la nature. Comme si sortant de son lieu de culte habituel, la religion venant à se fondre, à se dissoudre dans le tout naturel pour accomplir la perspective mystique, évoquée par Novalis dans une de ses lettres, d'une « religion de l'univers visible ». Olivier Schefer in La forme poétique du monde pp.572-3
  • Nouveau visage de la romantisation : l'artiste romantique en exhaussant la nature en religion et en dissolvant la religion en nature participe à la création d'une «religion de l'univers visible» évoquée par Novalis.

 
Nuit, clair de lune, nocturne
  • Les romantiques «cherchent l’obscure clarté (...) pour écouter les voix de la nature.» C'est la nuit «que se célèbrent les noces, de la conscience et de la nature» (Jankélévitch Le Nocturne 1937) «La nuit est le lieu des révélations essentielles, la médiatrice entre l'homme et l'infini, le moment de communication avec le surnaturel. Dans le silence de la nuit et la magie des clairs de lune, on croit percevoir les voix de l'infini; l'univers semble s'agrandir.» La forme poétique du monde p.169
  • C'est sous cet angle qu'il faut envisager l'importance dans les poèmes et les tableaux romantiques du clair de lune, tout de même que la création en musique d'une forme nouvelle : le Nocturne 
  • « Il faut aimer beaucoup la nuit, la chercher même durant le jour, là où on peut la trouver, dans les forêts et dans les cathédrales. » Jankélévitch

Conclusions

Au terme de cette caractérisation de la nature pour les romantiques allemands, on peut la traduire en acquis pour progresser dans la définition du romantisme envisagé comme acte de romantiser le réel :

Romantiser c'est

*manifester les analogies entre la nature et la vie intérieure humaine, par la médiation de la nuit en particulier

*manifester les polarités et le dynamisme à l'oeuvre dans les choses

*rapprocher jusqu'à les fusionner et  les unifier nature et religion