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Penser la laïcité (2014)

L’auteur, Catherine Kintzler est professeur et vice-présidente de la Société française de Philosophie, engagée depuis 1989 dans le combat pour la laïcité ; elle a écrit en 2007 « Qu’est-ce que la laïcité ? »

Le débat sur la laïcité resurgit régulièrement, non sans une certaine confusion. L’auteur se propose de clarifier le débat non seulement avec le rappel des principes mais aussi avec des exemples précis dont nous reprenons les grandes lignes. Cette présentation ne vise pas l’exhaustivité mais se veut une simple introduction pour permettre la lecture d’un livre rigoureux et parfois difficile.

La laïcité :

D’après le dictionnaire Larousse la laïcité c’est la conception et l’organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement. Ajoutons que dans un état laïc le pouvoir politique n’interdit ni ne promeut une quelconque doctrine religieuse.

Il en découle que la laïcité n’a pas de sens là où il n’y a pas de religion (pays communistes) et là où il n’y en a qu’une (théocratie comme l’Iran, l’Arabie Saoudite).

Ce principe a trouvé sans doute son extension maximale en France avec la loi de 1905 (séparation de l’Eglise et l’Etat, sauf en Alsace-Moselle, régime concordataire). Mais beaucoup d’états ne font pas cette séparation et vivent selon un régime de tolérance  où plusieurs religions sont admises (même l’athéisme) : ex de la Grande Bretagne où la Reine est chef de l’Eglise anglicane et des USA où le Président prête serment sur la Bible. Il convient de préciser,  que la laïcité se distingue justement de la tolérance en ce qu'elle consiste à créer un espace, le politique, préservé de toute croyance.

Sources/Origine :

Pour l’auteur ce sont les travaux :

  • de Locke (Lettre sur la tolérance 1689) sur l’association politique, lieu de la liberté d’expression qui devait être protégée des intrusions des gouvernements  en matière religieuse ;  Locke insiste surtout que l’’enjeu du politique lui est propre : assurer les intérêts civils : la vie, la liberté, la santé, la propriété etc. des individus, et non leur salut, spirituel. Et que de ce fait, tant qu'un individu respecte les lois, le pouvoir politique n'a aucun droit d'intervenir en matière religieuse.
  • de Bayle (1647-1706) qui conçoit la tolérance non seulement comme un programme de coexistence pacifique entre les communautés religieuses mais aussi comme un projet d’entente entre les hommes,
  • de Condorcet (1743-1794) sur l’instruction publique et les droits de l’homme.

qui ont ouvert la voie pour conduire à la laïcité telle que nous la connaissons aujourd’hui.

La liberté d’expression suppose, pour que la paix civile soit assurée, que :

  • le lien qui unit les membres d’une association (ou d’un groupe ou d’un pays) soit celui du respect de la loi et non celui de la foi ;
  • le respect de la diversité des idées (principe de tolérance) comprenne l’acceptation de la diversité des idées religieuses et celle de l’athéisme,
  • les religions renoncent à détenir la vérité ontologique (entre elles et avec les incroyants), et à exercer l’autorité politique : ce qui ne va pas de soi et suppose un retrait dans le domaine privé des convictions religieuses,
  • les laïcs acceptent des pratiques religieuses, dès lors qu’elles ne font pas la loi.

L’application de ces principes se décline, actuellement, de la façon suivante et se détermine, particulièrement, en fonction du port des signes religieux :

Déclinaisons concrètes contemporaines :

La « seule » laïcité  : distinction entre espace public/espace public sous l’autorité de l’Etat/espace privé

et port des signes religieux autorisé/interdit

  • L’espace public comprend les voies publiques, les transports en commun, les commerces, les musées, les cinémas, les théâtres, les bibliothèques, postes, hôpitaux, tribunaux et administration, où le port des signes religieux est autorisé (comme par exemple, le voile islamique, la kippa)
  • L’espace public sous l’autorité de l’Etat :
    • cas des établissements scolaires (école/collège/lycée) : L’école publique accueille sans distinction de religion, d’origine, d’opinion, d’où le Principe d’abstention des enseignants dans les Ecoles/collèges/Lycée pour permettre l’épanouissement de la liberté en voie de constitution chez les élèves et pour respecter la diversité des origines, des opinions, des religions des parentsLes élèves doivent construire leur autonomie, par l’acquisition et la compréhension des savoirs à l’abri de déterminations qui lui échappent. Le port des signes religieux est interdit.
    • cas des universités et des établissements scolaires supérieurs : la règle est la liberté, en considération de la maturité des étudiants et de la tradition universitaire. Toutefois, l’auteur, tout en étant fermement attaché à ce principe de liberté s’’interroge sur l’attitude et les exigences d’étudiants musulmans : demande d’aménagement d’horaires, de séparations étudiants/étudiantes, prosélytisme, contestations diverses et les réponses concrètes à y apporter.
  • Les espaces privés (chambres d’hôtes, crèches privées) le port des signes religieux est autorisé : voir plus loin les 2 affaires paradigmatiques

Laïcité : Les deux dérives que sont la laïcité intransigeante (extrémisme laïque) ou la laïcité « adjectivée » (laïcité nouvelle, plurielle, apaisée, raisonnable)

  • Laïcité intransigeante: l’objectif est de faire disparaître de l’espace public toute forme d’expression religieuse : pas de port de signes religieux, pas de femmes voilées (au sens de voile islamique) dans la rue, pas de procession, pas de prière dans la rue surtout quand elle est musulmane, pas de concession à l’hôpital (médecins hommes pour les femmes),
  • Laïcité adjectivée : c’est-à-dire laïcité nouvelle, plurielle, raisonnable, accommodante : c’est-à-dire accepter que les coutumes (comme l’acceptation de crèches de Noël dans les Mairies au motif de la tradition chrétienne)  et religions puissent s’exprimer et être tolérées au motif du respect des diversités culturelles. Le danger est le communautarisme qui verrait des populations vivre selon des droits différents contraires au principe d’égalité. 

La « seule » laïcité est celle qui se tient éloigné de ces deux dérives.

 

Exemple d’une fausse question laïque : le port du voile intégral. 

Pour interdire niqab et burqa de l’espace civil au motif du respect du principe de laïcité il faudrait réclamer l’interdiction du port de tout signe religieux dans cet espace ce qui reviendrait  à abolir la liberté d’expression religieuse.

La loi  interdit de «dissimuler son visage» dans l'espace public, notamment à l'aide d'un masque, d'une cagoule ou d'un voile islamiste intégral. Sont concernés la burqa - qui cache entièrement le corps, y compris les yeux derrière un tissu à mailles - et le niqab - qui couvre le visage pour n'en montrer que les yeux. Ici, ce n'est pas le signe religieux qui est mis en cause par le législateur, mais bien la dissimulation du visage qui en découle. C’est la négation de la personne qui est en cause car le visage est l’élément fondamental de  la relation à l’autre et de son identité (cf.les travaux de Lévinas). Le refus du voile intégral c’est le refus d’une ségrégation de la femme et relève du droit. Le «hijab» (qui masque la chevelure mais laisse le visage dégagé) ne rentre donc pas dans le champ d'application de cette mesure.

Espace privé/espace public sous l’autorité de l’état : 2 affaires paradigmatiques

  • Affaire d’Epinal et Baby Loup
  • Gîte d’Epinal (page 75)

En 2006, la propriétaire d’un gîte, ayant demandé à deux clientes d’ôter leur voile dans les parties publiques de son établissement, a été traînée devant la justice et lourdement condamnée pour discrimination religieuse. Il est clair que l’effacement dans l’espace civil de tout signe religieux a été récusé par le tribunal.

  • La crèche de Baby Loup : une entreprise de « tendance laïque » est-elle possible ? (page 140)

Baby loup est une crèche associative privée située à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) et ouverte 24 h sur 24 et 7 jours sur 7 qui  accueillait toutes les confessions et plus de cinquante nationalités en faisant valoir un principe de neutralité philosophique et religieuse pour son personnel- inscrit à son règlement intérieur- afin de permettre la coexistence harmonieuse de l’ensemble de ses bénéficiaires. En ce sens donc, la crèche s’inspirait de la laïcité du domaine public et en attendait les mêmes effets de coexistence des libertés et de sérénité. En 2008, la crèche licencie pour manquement à ce règlement une employée qui, au retour d’un congé pris en 2003, se présent voilée et refuse d’ôter son voile. Cette décision fut justifiée par le conseil des prud’hommes en décembre 2008, puis confirmée par un jugement de la Cour d’appel de Versailles en octobre 2011. Par son arrêt du 19 mars 2013, la Cour de cassation annule ce jugement et renvoie les parties devant la Cour d’appel qui le 27 novembre 2013… accepte le licenciement au motif qu’une affirmation de neutralité religieuse peut être revendiquée par une entreprise de droit privé. La crèche privée de Baby Loup se proposait de faire la même chose qu’une crèche publique : accueillir tous les enfants  grâce à une neutralisation de la présence religieuse ostensible en son sein de la part de son personnel.

En conclusion Penser la laïcité, qui exige une lecture attentive, permet de « recadrer » le débat : c’est à la fois un ouvrage théorique et une grille de lecture. Paru en  janvier 2014 ce livre ne pouvait prendre en compte les événements dramatiques  de 2015 et les interrogations liées à l’islam et la confrontation avec la laïcité. Le débat n’est pas clos.