3- Freud pervers sexuel, la psychanalyse science nazie

Pour mieux faire de son brûlot la suite logique de sa contre histoire des savoirs officiels, Onfray présente Freud comme un monstre pervers, maltraitant son père jugé pédophile, ayant abusé psychiquement de ses trois filles (Mathilde, Sophie et Anna), et commis l'adultère avec sa belle-sour pendant quarante ans, de 1898 à sa mort.L'appartement de Vienne aurait été, selon lui, un lupanar et Freud un abominable Œdipe : il ne pensait qu'à coucher réellement avec sa mère (même à un âge avancé) puis à occire vraiment son père (même après la mort de celui-ci, survenue en 1896), et enfin a fabriquer des enfants incestueux pour mieux les violenter.
 


C'est ainsi que pendant dix ans, Freud aurait torturé sa fille Anna tout au long d'une analyse en forme de procès inquisitorial qui se serait déroulé de 1918 à 1929 et au cours de laquelle, chaque jour, dans le secret de son cabinet, il l'aurait incité à devenir homosexuelle (Le crépuscule, p. 243-245). S'il est exact que Freud a bien analysé sa fille, la cure a duré quatre ans et non pas dix. Et quand Anna a commencé à se rendre compte de son attirance pour les femmes, Freud l'a plutôt incitée à s'orienter vers le travail intellectuel.  Par la suite, quand elle a vécu avec Dorothy Burlingham et qu'elle a «adopté» les enfants de celle-ci, il a fait preuve de tolérance. Freud n'était ni homophobe ni misogyne, même si sa conception de la sexualité féminine est discutable et a été discutée de nombreuses fois.

 


Peu importe les discussions des féministes et autres chercheurs : Onfray affirme que le grand abuseur viennois n'était autre qu'un escroc «ontologiquement homophobe» (Le crépuscule, p. 513-513). L'homophobie ontologique selon Onfray serait très différente de l'homophobie politique. La première consisterait à faire de l'homosexualité une perversion et la deuxième viserait à «criminaliser» l'homosexualité. Cette distinction est d'autant plus ridicule qu'elle vise à faire entrer Freud dans la catégorie des pervers. Or, la vérité sur cette affaire est toute différente. Freud, au contraire de bon nombre de ses disciples, ne considérait pas l'homosexualité comme une perversion et il était favorable, politiquement, à une émancipation des homosexuels.

 


Une fois de plus, la thèse d'Onfray n'a aucun fondement, sinon d'exprimer la détestation qu'il voue lui-même à l'homosexualité masculine et féminine. En faisant de Freud un dictateur phallocrate possesseur de toutes les femmes - sa mère, ses soeurs, sa belle soeur, ses filles, son épouse -, il parle encore de lui-même. N'a-t-il pas, à de nombreuses reprises, énoncé, en plus de son choix du célibat et de la non paternité, son goût philosophique pour la polygamie solaire, érotique, hédoniste, volcanique, païenne et anti-judéochrétienne ? Rien à redire à cela sinon que, s'agissant de Freud, il se transforme en inquisiteur de ce dont, par ailleurs, il prétend être l'adepte.

 


Cédant à une ancienne rumeur inventée par Carl Gustav Jung (et réactualisée par les révisionnistes de l'école américaine et les puritains) selon laquelle, Freud aurait eu, en 1898, une liaison avec Minna Bernays, la soeur de sa femme Martha, lors d'un voyage en Engadine (cf. Sigmund Freud, Notre coeur tend vers le sud. Correspondance de voyage 1895-1923, Fayard, 2005 et Le nouvel observateur, 1er février 2007), Onfray en vient à imaginer que celui-ci aurait eu des relations sexuelles perverses avec elle tout au long de sa vie, dans la chambre contiguë à la sienne et sous le regard complice de sa femme qui aurait souvent assisté aux ébats des deux amants. Pire encore, Freud aurait engrossée Minna pour l'obliger ensuite à se faire avorter. A l'évidence, Onfray, aussi peu soucieux des lois de la chronologie que de celles de la procréation, situe cet événement en 1923. Or, à cette date, Minna était âgée de 58 ans et Freud de 67.

 
 

Et Onfray d'ajouter que Freud aurait cédé à la tentation de subir une opération des canaux spermatiques destinée à augmenter sa puissance sexuelle afin de mieux jouir du corps de MInna : «Cette année-là, âgé de  soixante-sept ans, écrit-il, Freud le scientifique se fait ligaturer les canaux spermatiques sous prétexte que ce genre d'intervention rajeunit le sujet et ravive les puissances sexuelles défaillantes - les tenants de la version hagiographique du héros renonçant à la sexualité pour sublimer sa libido dans la production d'une oeuvre universelle, la psychanalyse, devront revoir leur copie... En revanche, pour les tenants d'une vie sexuelle active avec tante Minna, et l'hypothèse d'un voyage effectué en Italie pour cause d'avortement, les choses paraissent cohérentes... Les hagiographes l'affirment benoîtement : cette ligature prévenait la récidive de cancer.» (Crépuscule, p. 246). Et dans un entretien donné à  Livres-hebdo (9 avril 2010, p. 16), il ajoute que Freud aurait aussi entretenu des «relations symboliquement incestueuses avec la fille de sa maîtresse. Avec Freud, le bordel n'est jamais très loin du monastère». Mais qui est donc cette fille? Minna n'a jamais eu d'enfant. On se demande comment le journaliste qui s'entretient avec Onfray peut avaler de telles sottises.  A l'émission de Franz-Olivier Giesbert (France 2, 9 avril), il a même dit devant la mine réjouie de son interlocuteur - fier de recueillir des «révélations» de première main - que Freud avait «travaillé à l'Institut-Göring de Berlin entre 1935 et 1938». Or il n'a pas bougé de Vienne à cette époque. Quant à la collaboration des freudiens et de Jones à la politique d'«aryanisation» de la psychothérapie allemande orchestrée par Matthias Göring, elle est parfaitement connue des historiens : Freud a laissé faire - et c'est une faute politique grave - à la suite d'un long conflit dont on trouve la trace dans sa correspondance avec Max Eitingon (Hachette-Littératures, 2009) que Onfray ne cite pas puisqu'il ne connaît pas le détail de cette affaire. Onfray a affirmé en outre que Freud, avide d'argent, escroc, faussaire, menteur prenait pour ses séances à Vienne la somme de 450 euros, ce qui laisserait entendre que tous ses héritiers l'auraient imité. Pour qui connaît la réalité de la pratique psychanalytique - et  même celle de ses pires dérives -, force est de constater qu'il s'agit là d'une conviction délirante.

 


Convaincu que Minna pouvait être enceinte à l'âge de 58 ans, et ignorant l'histoire de la médecine, Onfray attribue aux hagiographes d'avoir occulté la vérité concernant la sexualité de Freud. La réalité est toute différente : en 1923, Freud a en effet subi une opération de ligature dite «opération de Steinbach». Cet endocrinologue était l'un des premiers à avoir découvert la fonction des cellules interstitielles qui sécrètent les hormones mâles. En ligaturant les canaux, il pensait obtenir une relative hypertrophie des cellules et par conséquent un «rajeunissement» du sujet. Comme on pensait à l'époque que la formation du cancer était partiellement due au processus de vieillissement, l'opération de «rajeunissement de Steinbach» était considérée comme un moyen de prévenir le retour du cancer (cf. Max Schur, La mort dans la vie de Freud, Gallimard, 1972, p. 434).

 

Défenseur du plaisir solitaire et solaire, Onfray accuse Freud, non seulement d'avoir engrossé sa belle soeur, mais d'avoir favorisé une immense répression de la masturbation (Le crépuscule, p. 497-504). L'attaque est d'autant plus comique que Freud a été voué aux gémonies par de nombreux sexologues puritains du début du XXè siècle pour avoir condamné toutes les tortures que l'on infligeait aux enfants pour réprimer la masturbation (mains attachées dans le lit, appareils effrayants, excision des filles, menaces diverses, coups,  etc...).

 

Obsédé par la pédophilie, Onfray ne cesse de faire des déclarations dans la presse pour dénoncer tous ceux qu'il soupçonne d'être les complices de ce crime. Reprenant à son compte des accusations grotesques contre Daniel Cohn-Bendit, et citant une fameuse pétition de 1977 signée par de nombreux intellectuels français favorables, à l'époque, à une révision de la loi sur la sexualité des adolescents (Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Fayard, 1990, p. 269-270), il n'a pas hésité, dans son blog de novembre 2009, à fustiger l'ensemble de l'intelligentsia française : des suppôts de la pédophilie, dit-il («Pédophilie mon amour»). Et de même, il a pourfendu Roman Polanski et Frédéric Mitterrand : «La pédophilie a bonne presse, écrit-il. Quand Bayrou rappelle à juste titre que Cohn-Bendit caressait le sexe des enfants et se laissait caresser par eux, c'est Bayrou l'infâme! (...) Quand la pétition  contre la majorité sexuelle rassemble en 1977 la fine fleur des intellectuels d'alors (Derrida, Deleuze, Guattari, Althusser, Sartre, Beauvoir, Sollers, etc.....) mais aussi les désormais sarkozystes Kouchner, Bruckner, Glucksmann (...) personne ne trouve à redire, pas même Dolto, signataire elle aussi».

 

Si Freud est un pervers sexuel, cela signifie pour Onfray que sa doctrine n'est que le prolongement d'une perversion plus grave encore en ce qu'elle a trait à des origines honteuses : elle serait, selon Onfray, le produit de quelque chose d'étranger au corps normal et sain de l'homme, un hétérogène lié à des stigmates précis. Elle serait donc l'inverse de la doctrine professée par ce dieu solaire et volcanique, source de vie et antithèse absolue du judéo-christianisme créateur de guerre, de destruction et de pulsion de mort. Aussi bien Onfray fait-il alors de la psychanalyse le «produit d'une culture décadente fin de siècle qui a proliféré comme une plante vénéneuse» (Le crépuscule, p. 566-567). Il reprend ainsi à son compte la grande thématique de l'extrême droite française qui, depuis Léon Daudet, a toujours comparé la psychanalyse à une une science étrangère («boche» ou «juive»), venant se greffer comme un parasite sur le corps de l'Etat-nation, une science mortifère, conçue par un cerveau dégénéré et née dans une ville dépravée (Vienne) au coeur d'un Empire en pleine déliquescence.

On ne s'étonnera donc pas de voir surgir sous sa plume, non pas une critique de la psychanalyse à la manière de Theodor Adorno, d'Herbert Marcuse, des féministes ou des culturalistes américains, ou encore de Gilles Deleuze ou de Michel Foucault, mais une accusation semblable à celle des adeptes du néo-paganisme anti-judéochrétien. Car c'est bien dans cette veine que se situe l'auteur du Crépuscule d'une idole quand, retournant l'accusation de «science juive» prononcée par les nazis contre la psychanalyse, il fait de celle-ci une science fasciste (Crépuscule, p. 566 et sq.) et de son fondateur une sorte de dictateur hitlérien adepte de l'inégalité des races (p.533).

 

Le raisonnement est simple : accusant Freud d'avoir théorisé la notion de pulsion de mort et de l'avoir inscrite au coeur de l'histoire humaine, Onfray en vient à affirmer que puisque les nazis ont mené à son terme le plus barbare l'accomplissement de cette pulsion, cela signifie bien que Freud serait le précurseur de cette barbarie et aussi un représentant des anti-Lumières, animé par la «haine de soi juive» (Crépuscule, p. 228 et 476). Mais il aurait fait pire encore : en publiant, en 1939, L'homme Moïse et la religion monothéiste, c'est-à-dire en faisant de Moïse un Egyptien et du meurtre du père l'un des principes de l'avènement des sociétés humaines, il aurait assassiné le père de la Loi judaïque, favorisant ainsi l'extermination par les nazis de son propre peuple (Crépuscule, p. 226-227). Il serait donc, de nouveau par anticipation, un persécuteur de Juif, qui, ne pouvant pas s'avouer national-socialiste parce qu'il est juif, aurait transféré sa ferveur envers Hitler en une admiration pour Mussolini, au point de les imiter dans Psychologie des masses et analyse du moi, ouvrage publié en 1921 et qui ne traite pas de ce sujet : «A l'évidence, Freud, en tant que Juif, ne peut rien sauver du national-socialisme. En revanche, le césarisme autoritaire de Mussolini et l'austro-fascisme de Dollfuss illustrent à merveille les thèses de Psychologie des masses et analyse du moi.» Et Onfray prétend apporter la  preuve de ce qu'il avance  en utilisant une anecdote connue de tous les historiens..

 

En 1933, Edoardo Weiss, disciple italien de Freud, présente à celui-ci, à Vienne, une patiente qu'il a en traitement. Le père de celle-ci, Gioacchino Forzano, auteur de comédies et ami de Mussolini, accompagne sa fille. Au terme de la consultation, il demande à Freud de dédicacer un de ses livres pour le Duce. Par égard pour Weiss, qui sera contraint ensuite à l'émigration, Freud y consent et choisit Pourquoi la guerre? écrit en collaboration avec Einstein (1932-33) : «A Benito Mussolini, avec le salut respectueux d'un vieil homme qui reconnaît en la personne du dirigeant un héros de la culture.» Par la suite, Weiss demandera à Jones de passer sous silence cet événement, mais celui-ci s'y refusera, allant même jusqu'à accuser Weiss de complicité avec Mussolini.

 

Sans connaître les détails de cette affaire, à propos de laquelle il se trompe lourdement, Onfray en conclut que Freud est un fasciste (Crépuscule, p. 524-532) et que Pourquoi la guerre?, écrit en collaboration avec Einstein, est une apologie du crime.

 

Quand on sait que Freud fut un penseur des Lumières sombres et jamais l'adepte des anti-Lumières, qu'il souligna que le meurtre du père était l'acte fondateur des sociétés humaines à condition toutefois que le meurtre fût sanctionné par la Loi (modèle des tragédies grecques) et qu'il était l'admirateur autant de Cromwell (le régicide) que de la monarchie constitutionnelle anglaise (capable de sanctionner le régicide), on se demande comment Onfray peut soutenir de telles extravagances.

 

Si la psychanalyse est, comme il l'affirme, une science nazie et fasciste, cela signifie qu'elle est incompatible avec la démocratie. Mais pourquoi alors ne s'est-elle développée que dans les pays où s'était instauré un Etat de droit? Pourquoi a-t-elle toujours été bannie, en tant que telle, par les régimes totalitaires ou théocratiques, même quand ses praticiens collaboraient avec de tels régimes? Onfray ne se pose pas la question et se contente d'affirmer que si elle a eu du succès, c'est parce que Freud a organisé des «milices» pour la défendre, la transformant ainsi en une religion fanatique favorisant la guerre et les boucheries de guerres, préfigurant Auschwitz, Hiroshima et les guerres coloniales. En conséquence, elle ne devrait sa survie qu'au fait qu'elle poserait une adéquation entre bourreau et victime.

 

Refusant le principe même de l'histoire des sciences selon lequel aucune norme ne doit être essentialisée par rapport à une pathologie - puisque les phénomènes pathologiques sont toujours des variations quantitatives des phénomènes normaux -, Onfray reconduit une vision manichéiste de la relation entre le normal et le pathologique. Il la pense selon l'axe du bien et du mal : d'un côté le paradis de la norme (les adeptes du dieu solaire, pacifistes et hédonistes), de l'autre, l'enfer de la pathologie (les fous, les salauds, les pervers, les monstres, les chrétiens, les Juifs, les nazis, les musulmans). Tant et si bien qu'il en vient à affirmer que la psychanalyse n'est pas capable - pas plus que Freud lui-même - de distinguer le bourreau de la victime, puisque, pour elle, «tout se vaut» : le malade et l'homme normal, le fou et le psychiatre, le pédophile et le bon père, etc... Et, à propos de l'extermination des quatre soeurs de Freud par les nazis, il en conclut «qu'on ne peut pas comprendre le problème de la Solution finale qui saisit la famille Freud. De quelle manière saisir intellectuellement, dit-il, ce qui psychiquement distingue Adolfine, morte de faim à Theresienstadt, et ses trois autres soeurs disparues dans les fours crématoires en 1942 à Auschwitz et Rudolf Höss, puisque rien ne les distingue psychiquement sinon quelques degrés à peine visibles et comptant pour si peu que Freud n'a jamais théorisé cet écart minime, pourtant tellement majeur?" (Crépuscule, p. 566).

 

Notons au passage qu'Onfray se trompe de camp : Rosa fut exterminée à Treblinka et Mitzi et Paula à Maly Trostinec. Si la «Solution finale» a bien saisi la famille Freud, ce n'est certainement pas dans ce face à face sans «distinction psychique» imaginé par Onfray entre le Commandant du camp d'Auschwitz (Höss) et les quatre soeurs du fondateur de la psychanalyse, accusé d'avoir éliminé, par anticipation, toute différence entre l'exterminateur et ses victimes.

 

«Que la haine soit l'autre visage de l'amour, écrit Onfray parlant de Freud, qu'on me permette de douter, d'abord parce qu'il n'y a pas chez moi de haine de la psychanalyse (...)» Et il ajoute : «Toute haine d'une victime juive pour son bourreau nazi me semble loin de signifier chez elle un autre nom de l'amour! Il faut en finir avec ce genre de pseudo-argument freudien que le rien est l'une des modalités du tout, que le blanc est l'une des modalités du noir, que la critique (ouverte) de Freud est l'une des modalités (inconsciente) de l'amour de Freud.» (Lire, mars 2010, p.35)

 

Emporté par le déni de sa haine, Onfray ne cesse d'attribuer au fondateur de la psychanalyse ses propres obsessions. C'est bien Onfray et non pas Freud qui se permet d'affirmer que la haine d'une victime juive pour son bourreau nazi est l'autre nom de l'amour. Et c'est de son imagination qu'est sorti le scénario macabre de ce face à face entre Rudolf Höss et les quatre soeurs de Freud.

 

Puisque la psychanalyse n'est que l'autre nom d'une science fasciste inventée par un Juif haineux et pervers, on comprend qu'Onfray se livre, à la fin de son ouvrage, à une réhabilitation systématique des thèses paganistes de l'extrême droite française avec lesquelles il entretient une forte relation de connivence.

 

Ainsi fait-il l'éloge de La scolastique freudienne (Fayard, 1972), ouvrage de Pierre Debray-Ritzen, pédiatre et fondateur de la Nouvelle droite, qui n'a jamais cessé de fustiger autant le divorce et l'avortement que la religion judéo-chrétienne, hostile selon lui, à l'éclosion d'une vraie science matérialiste. D'où sa revendication d'un athéisme forcené fondé sur le culte du paganisme : «Sur la fin de sa vie, écrit Onfray, cet oncle de Régis Debray qui n'en peut mais (sic) animait une émission sur Radio Courtoisie, un média clairement à la droite de la droite (...) Comment entendre la justesse de bons arguments critiques dans un monde où l'essentiel de la classe intellectuelle communie moins dans la gauche que dans son catéchisme?»

 

Non content de s'en prendre à la gauche française, dont il prétend faire partie, Onfray vante les mérites d'un autre ouvrage, issue de la même tradition, Mensonges freudiens. Histoire d'une désinformation séculaire, publié en Belgique par Jacques Bénesteau (Mardaga, 2002), préfacé par un proche du Front national, soutenu par le Club de l'Horloge et dans lequel on peut lire (p.190-191) qu'il n'existait pas d'antisémitisme à Vienne durant l'entre-deux-guerres puisqu'à cette époque de ombreux Juifs occupaient des postes importants dans toute les sphères de la société civile : «Dans son uvrage, écrit Onfray, Bénesteau critique l'usage que Freud fait de l'antisémitisme pour expliquer sa mise à l'écart par ses pairs, son absence de reconnaissance par l'université, la lenteur de son succès. En fait de démonstration, il explique qu'à Vienne à cette époque nombre de Juifs occupent des postes importants dans la justice la politique, l'édition, ce qui lui vaudra d'être rangé dans le camp de«l'antisémitisme masqué» par Elisabeth Roudinesco («Le club de l'horloge et la psychanalyse : chronique d'un antisémitisme masqué», Les temps modernes, 627, avril-mai-juin 2004) - masqué, autrement dit invisible bien que présent et réel (...) Or, la lecture de ce gros livre ne contient aucune remarque antisémite (sic), on n'y trouve aucune position qui dirait la préférence politique de son auteur.» (Crépuscule, p. 596).

 

Au terme de son furieux réquisitoire, Michel Onfray  souscrit à la thèse selon laquelle Freud - homophobe, misogyne, défenseur du fascisme, responsable par anticipation de l'extermination de ses soeurs, adepte d'une sexualité malsaine et d'une conception pervertie des relations entre la norme et la pathologie - aurait inventé des persécutions antisémites qui n'existaient nullement à Vienne, manière de voir partout et en toutes circonstances - dans la plus pure tradition de l'idéologie complotiste française (d'Augustin Barruel à Edouard Drumont) - la main, l'oeil et le nez de Freud.

 

A la lecture d'un tel ouvrage, dont l'enjeu dépasse largement le débat classique entre adeptes et opposants à la psychanalyse, on est en droit de se demander si les considérations marchandes qui ont conduit à cette publication ne sont pas désormais d'un tel poids qu'elles seraient susceptibles d'abolir tout jugement critique et tout sens de la responsabilité? La question en tout cas mérite d'être posée et le débat est ouvert.


Communiqué d'Elisabeth Roudinesco