Catégorie : Conférences

 Plan détaillé de la conférence d'Emmanuel Jardin du 21 Février 2013

Faut-il vouloir restaurer lautorité ?

 

Pourquoi affronter cette question ? Parce que :

- une des raisons d’être de la philosophie c’est d’interroger les lieux communs

- ce lieu commun me semble symptomatique d’un désamour voire d’une haine (inconsciente?) de la démocratie

- cette question se donne d’emblée comme un problème

- elle porte sur une notion qui a plus de valeur que sens.


I - De la chose au mot, du mot à la chose

L’autorité ou le  mystère du pouvoir sans contrainte

On dit quil autorité quand un individu fait, sans contrainte et sans discussion, ce quun autre lui commande/ordonne

de faire

« Pourquoi obéissons-nous ?

 La question ne se posait guère ; nous avions pris lhabitude découter nos parents et nos maîtres. Toutefois 

nous sentions bien que cétait parce quils étaient nos parents, nos maîtres. Donc à nos yeux leur autorité leur venait moins deux-mêmes que de leur situation par rapport à nous. Ils occupaient une certaine place cest de  que partait,  avec une force de pénétration qu il naurait pas eu sil avait été lancé dailleurs, le commandement. 

En dautres termes, parents et maîtres semblaient agir par délégation. Nous ne nous en rendions pas compte, mais derrière nos parents et nos maîtres, nous devinions quelque chose dénorme ou plutôt dindéfini, qui pesait sur nous de toute sa masse par leur intermédiaire» H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion 1931

Quel est donc "ce quelque chose d'énorme et d'indéfini" dont découle l'autorité?

L’autorité, une puissance augmentée

Etymologie : auctoritas se rapporte à auctor, qui signifie, fondateur, auteur, instigateur. Le terme auctor se rapporte lui-même à la racine 

augeo qui signifie augmente

 L’étymologie du mot autorité indique clairement que celui qui exerce lautorité est détenteur dune puissance 

(dune capacité de produire des effets) qui excède ses forces propres. Il est donc investi dun surcroît de force. 

Son autorité est donc littéralement une puissance augmentée   

 

L’autorité, une puissance mandatée

L’autorité ne s’exerce jamais en nom propre ; elle s’exerce toujours « au nom de »

Celui qui exerce l’autorité le fait par un mandat. Celui qui exerce l’autorité commande

L’autorité est une puissance mandatée

Remarque : il n’y a jamais d’autorité en nom propre

L’autorité, un pouvoir au nom de la Loi

La Loi en majuscule désigne ce qui nous précède, nous dépasse et nous englobe

1 – La Loi de la Nature (physis) = autorité cosmologique

2 – La Loi des Ancêtres  = autorité traditionnelle

3 – La Loi de Dieu = autorité théologique

L’autorité, un phénomène à trois dimensions

1 – Un individu qui donne un ordre ou qui formule un rappel à lordre

2 – Un individu qui reçoit lordre (qui entend le rappel à lordre) et qui obéit

3 – Un ordre qui sexprime sous la forme dune parole

L’autorité, un phénomène social en clef de don

Donner (recevoir)

Aussi surprenant que cela puisse paraître, dans le phénomène dautorité, lordre nest pas imposé, il est donné et celui qui obéit 

nest  pas soumis, il reçoit. Lautorité est donc à penser dans une logique du don et non de la contrainte

 L’autorité relève donc de ce type particulier déchange social que M. Mauss appelle le don (Triple obligation de donner, 

recevoir et rendre)

L’autorité, une parole qui suscite l’obéissance

Obéir : du latin ob audiare qui désigne lécoute consciente de la source émettrice (Lordre doit être « reçu fort et clair »)

L’obéissance n’est pas une soumission passive, elle est au contraire un acte volontaire résultant d’une écoute attentive

« L’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté » H. Arendt (Lesclave nobéit pas, 

il est assujetti)

«Un peuple libre obéit, il ne sert pas » Rousseau, Lettres écrites de la montagne

L’autorité, une parole d’Ordre

Dans la relation dAutorité, ce qui est donné et reçu, cest un ordre

Qu’est-ce quun Ordre? Cest un ensemble défini (fini et circonscrit) fait déléments distincts, hiérarchiquement positionnés

 les uns par rapport aux autres en vertu dune règle (la Loi). Lordre donné a donc littéralement pour finalité de mettre ou « remettre les choses et les 

hommes à leurs places ». 

La parole dautorité a donc pour fonction de mettre ou de remettre les choses en ordre, dempêcher le désordre.  Ce que vise la parole dautorité cest à maintenir ou à rétablir lOrdre

L’autorité, une parole parabolique

Une parole 

Conformément à létymologie latine du mot (parabola = comparaison, similitude), la parole dautorité sexprime de la manière 

la plus fondamentale  

sous la forme de paraboles. 

Dans les sociétés traditionnelles, ou primitives, le chef, celui qui exerce lautorité, na pas de pouvoir (il ne peut contraindre

 personne par la force),

 sa seule puissance est celle de la parole qui sexprime sous forme de paraboles  (Cf. P. Clastres : philosophie de la chefferie indienne)

La parole du  chef invite celui à qui elle sadresse à mettre en rapport sa situation particulière avec la parabole de telle sorte que 

celui qui écoute  attentivement cette parole comprenne de lui-même ce quil a à faire. La parole du chef éclaire la situation particulière qui lui est 

soumise du point de vue général de lOrdre (de la Nature, des Anciens, de Dieu)  Le chef raconte des histoires

Le chef, celui qui donne l'ordre sous la forme d'une parole qui est une parabole, est en ce sens un garant de l'ordre et un initiateur : il fait entrer dans le monde celui qui s'adresse à lui,en lui donnant la capacité d'agir dans le monde de sa propre initiative mais sans menacer l'Ordre des choses.

Synthèse

L’autorité désigne une relation de pouvoir sans contrainte et sans discussion.  Cest une relation non-violente

L’autorité est un pouvoir augmenté c’est-à-dire un  pouvoir qui s’exerce au nom de la Loi (de la Nature, des Ancêtres, de Dieu).

Cest un pouvoir mandaté(par délégation)

L’autorité est une relation de commandement (dans laquelle le pouvoir s’exerce par un mandat) et d’obéissance (d’écoute attentive).

Cest une relation interactive

L’autorité s’exerce au moyen d’une parole qui est une parole transitive (reçue, donnée, donnée pour être donnée = rendue de manière différée). Cest une parole liante

La parole d’autorité est une parole initiatrice  = elle est le fait d’un initié (Quelqu'un qui a été accueilli dans un ordre)  et elle a le pouvoir d’initier (de faire entrer dans un ordre/ de rendre capable d’initiative). Cest une parole augmentée qui augmente(Cf M. Revault d’Allonnes)

 

quelle condition le phénomène dAutorité peut-il se manifester à plein régime? 

 Quand les personnes prises dans la relation d’autorité sont enveloppées dans un sens commun partagé. 

Qu’est-ce qui fait que le phénomène dAutorité peine à se manifester? 

C’est l’absence d’un tel sens commun partagé qui rend impossible la manifestation du phénomène d’autorité.

quoi reconnait-on que lAutorité fonctionne à plein régime? 

Au fait que la question de l’Autorité ne se pose pas


 

 

II - Qu’est ce qui abîmé,voire détruit lAutorité ?

Athènes, première scène de crime

Du muthos au logos, la démocratie comme changement dans le régime de la parole(JP. Vernant)

Muthos :  suite de paroles qui ont un sens, fable, récit fabuleux.  Cest une parole qui a du sens, qui raconte mais qui na pas le souci de rendre raison delle-même (= Parole poétique). 

Elle doit être interprétée

Logos : parole et raison.  Cest une parole qui sefforce de rendre raison delle-même, qui est dans le registre de la justification (parole argumentative)

Athènes cest le lieu  se produit cette révolution extraordinaire : on passe de la parole dautorité (le muthos) à lautorité de la parole

(le logos) qui est en fait toujours dialogos.

Jérusalem, l’Autorité ressuscitée

 

La révolution démocratique, l’Autorité décapitée

Le constat de décès  (A.deTocqueville) « L’aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du

paysan au roi ; la démocratie brise la chaîneet met chaque anneau à part » DA, TII, 3ème partie, chap. II

« Ceux-là ne doivent rien à personne, ils nattendent pour ainsi dire rien de personne; ils shabituent à se considérer toujours isolément, ils se figurent volontiers que leur destinée toute entière est 

entre leurs mains »

« Echapper à l’esprit de système, au joug des habitudes aux maximes de famille, aux opinions de classe et, jusqu’à un certain

point jusqu’aux préjugés de nation ; ne prendre la tradition que comme un renseignement et les faits présents que

comme une utile étude pour faire autrement et mieux ; chercher par soi-même en soi seul la raison des choses (…)

tels sont les principaux traits qui caractérisent ce que j’appellerai la méthode philosophique des américains ».

La révolution démocratique, la fin de l’autorité

Quelques  « bourreaux » de lAutorité

 

 

 

Martin Luther : Thèse 79 : « Cest un blasphème de dire que la croix aux armes pontificales a autant de puissance que la croix du Christ »

Galilée :

« L’autorité dun seul homme compétent, qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le

 consentement

 unanime de ceux qui ny comprennent rien »

« Il est certainement nocif pour les âmes de transformer en hérésie le fait de croire ce qui est prouvé »

René Descartes :

« Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, javais reçu quantité de fausses

opinions pour véritables, et que ce j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que douteux et incertain; 

de façon quil me fallait une fois en ma vie  me défaire de toutes ces opinions que javais reçues en ma créance, et créance

 et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences ».

  Première Méditation métaphysique,

L’acte de décès

                       « Notre histoire n’est pas notre code » JP. Rabeau Saint-Etienne (1743-1793)

                       « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ». René Char (1907-1988)

                       « Nous sommes délaissés » JP. Sartre

Qu’est-ce que la démocratie? C’est un nouveau monde, c’est une nouvelle idée de l’humanité (R. Legros). C’est un monde

dans lequel, au fond, il n’y a pas de Monde, c’est-à-dire pas de représentation communément admise de l’ordre du monde

enveloppant l’ensemble des membres de la société dans un sens commun. Ce qui fait donc par essence défaut dans une société démocratique, ce n’est pas des hommes désireux de donner des ordres (ils sont au contraire légion) ni des hommes prêts à

recevoir des ordres (ils sont eux aussi légion), mais un Ordre, un Sens Commun spontanément partagé, à défaut duquel

le phénomène d’autorité ne peut pleinement se manifester.

Le Monde démocratique est un monde sans Ordre (Anarchie) dans lequel il revient aux hommes (au Peuple)  de

donner un Ordre (La démocratie c’est le monde de l’autonomie / hétéronomie)

On peut ainsi parler d’un pari ou d’une promesse démocratique

Comment peut-on donner un ordre quand il n’y a plus d’Ordre, de sens commun du monde communément

et spontanément partagé ?


  

 

 

III - Quelle autorité pour la démocratie ?

La nature à horreur du vide

Si la société démocratique peut se définir par son refus de tous les ordres hérités, elle n’est cependant pas sans source d’autorité.

Cette source, c’est le démos, le Peuple.

Le problème c’est que le Peuple est sans forme, sans parole et sans porte-parole (P. Rosanvallon, Le peuple introuvable).

En démocratie « le Pouvoir est un lieu vide » C. Lefort

Mais, comme « la nature a horreur du vide »  nombreux furent les discours et les hommes qui, tout au long des XIXème

et  XXème siècles, ont prétendu pouvoir « remplir » ce lieu vide. Les nouvelles idoles (et tous leurs hérauts) :

l’Etat, la Nation, la Science, l'Histoire, le Marché

Un monde désenchanté

Après avoir expérimenté tout au long du XIXème et du XXème siècle dans quelles impasses pouvaient nous mener chacune

de ces « nouvelles idoles » (Nietzsche), nous vivons désormais à l’ère de  « la fin des grands récits » (JF. Lyotard), dans

une indépassable situation de « guerre des dieux », de « polythéisme des valeurs » (M. Weber).

Et c’est sans doute parce que nous en avons fini avec ces nouvelles idoles, que nous pouvons dire, avec M. Gauchet,

que nous vivons désormais dans « un monde désenchanté », que nous savons que nous ne pouvons plus espérer

ordonner notre vie commune en référence à un Ordre préétabli qui nous précéderait, nous dépasserait et nous engloberait.

De la parole d’Autorité à l’Autorité de la parole

Au fond, nous sommes reconduits au problème qu’ont eu à affronter les Athéniens :

Comment instituer une Parole du Peuple,

L’enjeu est donc d’instituer une Autorité de la parole en lieu et place de la Parole d’Autorité.

En quoi consiste cette parole qu’appelle la promesse démocratique d’autonomie?

 

C’est une parole dialogique:

« Dans lexpérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font

quun seul tissu, mes propos et les siens sont appelés par l’état de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune

dont aucun de nous n’est le créateur. Il y a là un être à deux, et autrui n’est plus ici pour moi un simple comportement

dans mon champ transcendantal, ni d’ailleurs moi dans le sien, nous sommes l’un pour l’autre

Comment instituer cette parole dialogique, condition de possibilité d’une autorité de la parole ?

Tocqueville et les écoles de la démocratie :

La communeassociation permanente créée par la loi ; elle développe l’esprit de cité, l’esprit de responsabilité (« Petite Athènes »)

Le juryassociation  temporaire créée  par la loi.  Il développe l’esprit de jugement

Les associationsassociations volontaires plus ou moins durables reconnues par la loi.  Elles développent l’esprit d’initiative

 les conférences citoyennes,  les universités populaires,  les comités d’éthique….. et l’Ecole ?


 

Faut-il vouloir restaurer l’Autorité ?

Quels enseignements peut-on tirer de notre enquête ?

La volonté de restaurer l’Autorité, c’est-à-dire de la rétablir dans son état originel, en Majesté, n’a tout simplement aucun sens.

Autant vouloir ressusciter les morts

Quelles conséquences pouvons nous tirer de ces enseignements ?

Ce à quoi nous sommes donc tous conviés, à la fois individuellement et collectivement, c’est à instituer l’autorité en régime

démocratique.

Concluons donc qu’il ne peut y avoir d’autorité démocratique qu’à la condition que les sociétés démocratiques soient fidèles

à leur promesse originelle de faire vivre une Autorité de la parole. Où il se confirme qu'il n'y a d'autorité que dans la fidélité

à une parole (promesse donnée) originelle, aussi exigeante cette promesse soit elle.

Convenons donc avec Myriam Revaut d'Allonnes, que l'autorité est bien "le pouvoir des commencements",

le surcroît de force que nous donne la fidélité aux fondements du Monde dans lequel nous vivons.

Et à défaut d'une telle fidélité exigeante, comme toutes les fidélités, il nous faudra soit nous résigner

au "désordre établi (E.Mounier), soit affirmer avec Heidegger que "seul un Dieu peut nous sauver".


Petite bibliographie indicative

Hannah Arendt : « La crise de l’autorité »  La crise de la culture

Alain Renaut : La fin de lautorité

M. Revaut d’Alonnes : Le pouvoir des commencements

JP. Vernant : Les origines de la pensée grecque

P. Breton, Eloge de la parole

M. Gauchet, « Condition de l’autorité », in Condition de léducation

A. Garapon, S. Perdriolle s/d : Quelle autorité?

« Pourquoi